L’inquiétude gagne la diplomatie suisse
La réforme du personnel au service de la diplomatie soulève de vives inquiétudes. Une circulaire interne envoyée fin octobre annonce des changements majeurs avant tout pour le personnel consulaire, c’està-dire non universitaire
C’est un héritage sensible que Didier Burkhalter transmet à Ignazio Cassis, son successeur à la tête du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Un nouveau système de carrière et de rémunération pour le personnel au service de la diplomatie suisse doit entrer en fonction en 2019. Or, ce vaste chantier, aux conséquences humaines et financières importantes, avance dans la douleur. Une circulaire interne envoyée au personnel du DFAE le 25 octobre dernier soulève des inquiétudes. Elle annonce des réorientations délicates, selon les grandes lignes du document dont nous avons pris connaissance.
La fin du système actuel de carrière
Au sein des Affaires étrangères, les projets de réforme du personnel se succèdent depuis plus de vingt ans. Mais on parle désormais d’un changement complet de paradigme. Aujourd’hui, les quelque 360 diplomates, 440 collaborateurs consulaires et 50 secrétaires spécialisés suisses sont au bénéfice d’un système de carrière, c’est-à-dire qu’ils peuvent aspirer à une promotion à intervalles réguliers, sorte de contrepartie aux exigeants transferts à travers le monde auxquels ils sont soumis.
Mais à la suite des recommandations de la Commission de gestion du Conseil des Etats, qui a critiqué le manque de transparence de ce mécanisme de «promotions quasi automatiques» et ses limites, le Conseil fédéral étudie le passage, pour ces employés transférables, à un système fonctionnel, avec un salaire fondé sur le cahier des charges. Ce projet est désormais mené au pas de charge par Jacques Pitteloud, le directeur des ressources du DFAE, et par la secrétaire d’Etat Pascale Baeriswyl, avec l’appui d’une entreprise zurichoise, GFO Unternehmensberatung SA.
Le risque d’une voie de garage
Quels changements sont prévus? Selon la circulaire envoyée à l’interne, il s’agit d’une part de faire appel à une relève plus jeune. L’âge limite du concours diplomatique passera de 35 à 30 ans. D’autre part, la structure du personnel sera modifiée. La carrière de coopération internationale, la filière diplomatique et son homologue consulaire seront maintenues, mais cette dernière devrait prendre un autre nom, à savoir la carrière «gestion et prestations consulaires». La Direction des ressources propose aussi d’abolir, pour cette catégorie de personnel, les procédures d’évaluation actuelles, préalables aux promotions.
C’est «un démantèlement qui ne dit pas son nom», craint-on dans le milieu. Cette nouvelle dénomination suggère que le personnel consulaire sera confiné à terme à des tâches uniquement administratives – octroi de visas, état civil, gestion financière, etc. – sans guère de possibilités de progression au-delà. Lui-même entré au service de la diplomatie par la voie consulaire, Francis Cousin, auteur du livre Métier sans frontières, explique la nuance: «Les fonctions consulaires sont fort diverses et comprennent aussi des tâches assimilables aux tâches diplomatiques, comme la promotion et la défense des intérêts suisses. Mais à la différence de la carrière diplomatique, une formation non universitaire suffit pour se présenter au concours consulaire.»
Autrement dit, la réforme affecte particulièrement les employés non académiques. «Le projet touche aussi les diplomates. Mais ils ont moins de risques d’être déclassés avec une baisse d’indemnités et de salaire», renchérit Maria Bernasconi, secrétaire générale de l’Association du personnel de la Confédération (APC), qui déplore au passage d’avoir été écartée du comité de pilotage de la réforme depuis plusieurs mois.
Sur demande, le Département des affaires étrangères confirme le contenu de la circulaire, mais il précise que le terme de carrière «gestion et prestations consulaires» est «pour l’instant un titre de travail». Il l’assure: «La carrière consulaire continuera d’offrir des perspectives professionnelles intéressantes et les prestations consulaires constitueront toujours un point fort de l’activité des représentations suisses à l’étranger. Le nouveau système n’implique en rien une diminution de leur importance.»
Mais le doute s’est installé et s’appuie sur un malaise existant: alors que le nombre de diplomates n’a cessé d’augmenter de 1995 (296) à aujourd’hui (360), la réorganisation du réseau extérieur ainsi que la pyramide des âges au sein du DFAE a réduit les débouchés, particulièrement pour le personnel consulaire. En avril, le Conseil fédéral chiffrait à 250 les employés ne pouvant être promus, faute de places disponibles. D’une certaine façon, le personnel consulaire fait aussi face à une concurrence venant d’en bas, celle des «stagiaires académiques», jeunes malléables et moins chers, engagés «à la pelle» critiquent certaines sources. Ils étaient 169 fin octobre, indique le DFAE.
Une réforme à 35 millions
La réforme du personnel au service de la diplomatie suisse ne poursuit pas un but d’économie. Son coût est évalué à 24,8 millions de francs jusqu’en 2025, auxquels s’ajoutent environ 10 millions de francs de 2019 à 2038 pour des mesures d’atténuation. Mais pour quelle efficacité?, s’interroge Maria Bernasconi: «La transparence n’est pas assurée aujourd’hui dans les promotions, c’est vrai. Mais elle ne le sera pas davantage avec le nouveau système.» L’Association pour la promotion de la profession consulaire, qui se mure aujourd’hui dans le silence, avait signé en 2016 une lettre ouverte à Didier Burkhalter, s’inquiétant d’un surcroît de bureaucratie au risque de déstabiliser les bons rapports de travail entre la Confédération et ses employés. A voir si Ignazio Cassis, qui doit présenter les détails du projet au Conseil fédéral début 2018, s’y montrera sensible. ▅