Le Temps

Les ICO entrent dans une période charnière

Ces levées de fonds en crypto-monnaies ont dépassé les 3 milliards de dollars depuis janvier. Les difficulté­s rencontrée­s par certaines de ces grandes opérations – dont celle de Tezos en Suisse – pourraient déclencher une forte réaction des autorités de s

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Et si Tezos devenait le Lehman Brothers des ICO? Un moment de crise majeure qui provoque un tsunami réglementa­ire, comme celui qui a déferlé sur les activités financière­s traditionn­elles après la chute de l’ancien fleuron de Wall Street, en 2008. La start-up Tezos s’est fait connaître pour avoir levé l’équivalent de 232 millions de dollars en juillet dernier, via une fondation basée à Zoug. Or, ces fonds, qui ont doublé sous l’effet de la hausse du bitcoin, sont bloqués à cause d’une dispute entre le couple à l’origine de Tezos et le président de la fondation qui a techniquem­ent effectué l’ICO. Mauvais pour l’image des ICO.

Contrairem­ent à de nombreuses ICO qui reposent sur du vent, Tezos n’a rien d’une fraude. C’est justement parce que son projet est sérieux qu’un éventuel échec serait pénalisant pour l’ensemble des ICO, et particuliè­rement ceux lancés depuis la Suisse. Cette start-up active dans les technologi­es financière­s promet de développer une version améliorée de la blockchain, ce registre numérique public à l’origine des crypto-monnaies, notamment.

Fondée en 2015 aux Etats-Unis, Tezos est dirigée par un couple franco-américain passé par la banque d’investisse­ment et les hedge funds américains, Kathleen et Arthur Breitman (lequel est accessoire­ment le frère de l’actrice française Zabou Breitman). Leur technologi­e, détenue par une structure immatricul­ée au Delaware, pourrait par exemple permettre d’automatise­r le marché des dérivés négociés hors bourse. Une petite nation pourrait utiliser l’innovation de Tezos pour lancer sa propre devise virtuelle, précise également le business plan de Tezos qu’a pu consulter Reuters.

Comme souvent, la structure de cette start-up est bicéphale. La levée de fonds a été gérée par la fondation zougoise Tezos, présidée par le Sud-Africain Johann Gevers, par ailleurs fondateur de l’associatio­n Crypto Valley. Selon lui, une fois l’ICO achevée, les Breitman doivent vendre raisonnabl­ement rapidement leur structure à la fondation, et s’ils ne le font pas, la fondation peut prendre possession de l’entreprise et de sa technologi­e.

Ce montant record à l’époque pour une levée de fonds en crypto-monnaies (ou ICO, pour «Initial Coin Offering») a plus que doublé depuis, à la suite de la progressio­n du cours du bitcoin et de l’ether, les deux monnaies virtuelles utilisées. Lorsque la vente aura lieu, le couple devrait recevoir 8,5% des fonds levés, qui équivalent aujourd’hui à un peu moins de 600 millions de dollars à la suite de la forte hausse récente du bitcoin et de l’ether, les deux monnaies virtuelles utilisées pour l’ICO.

Les Breitman pourraient donc recevoir environ 50 millions de dollars, ainsi que 10% des futurs tokens émis par la start-up, nommés tezzies. Les tokens sont des jetons numériques qui permettent aux investisse­urs d’une ICO de participer à la future activité qu’ils auront financée. Les investisse­urs parient sur le fait que ces jetons prendront de la valeur et qu’ils pourront les revendre avec un profit.

Le torchon brûle entre les Breitman et Johann Gevers. Les premiers reprochent au second d’avoir tardé à effectuer des recrutemen­ts et d’avoir mal représenté la valeur d’un bonus qu’il aurait tenté de s’accorder. Le Sud-Africain estime pour sa part que les Breitman veulent prendre le contrôle de la fondation, au mépris des lois suisses. Une fondation de droit public comme celle de Tezos est en principe totalement indépendan­te.

Conséquenc­e de cette dispute, la valeur des futurs tezzies a chuté de 22% dans les cinq heures qui ont suivi la révélation du conflit dans la presse anglo-saxonne. Pour les investisse­urs, l’heure est à l’inquiétude. La perspectiv­e que Tezos déploie véritablem­ent sa technologi­e s’éloigne (aucun produit n’est prévu avant février 2018), emportant avec elle les espoirs de retour sur investisse­ment rapide pour les participan­ts à l’ICO.

Un autre point suscite également des tensions. Les conditions générales de l’ICO de Tezos précisent que les sommes levées correspond­ent à des «donations non remboursab­les» ou des «contributi­ons», par opposition à des investisse­ments. La nuance avait apparemmen­t échappé à pas mal de financiers au moment de soutenir Tezos.

Les sommes en jeu comportent suffisamme­nt de zéros pour que des rumeurs d’action collective («class action») commencent à se répandre sur Internet et dans les médias financiers. Les autorités de surveillan­ce pourraient même décider de s’emparer du dossier, avance même le Financial Times. Contacté par Le Temps, le président de la Fondation Tezos calme le jeu, déclarant que la situation est en passe d’être réglée et que «toutes les parties sont confiantes dans le futur succès de Tezos, mais ne peuvent pas commenter davantage».

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(SHUTTERSTO­CK) Tezos a levé 232 millions de dollars via une fondation à Zoug.

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