Le Temps

Quelle est la gravité des biais des produits bancaires?

L’investisse­ur devrait réduire de 82% l’estimation de performanc­e d’un produit résultant des tests de validité, selon un travail de recherche. Attention aux extrapolat­ions sur la base des simulation­s! La sélection d’une stratégie est encore plus difficile

- EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

La performanc­e d’une stratégie telle qu’elle est observée une fois qu’un produit bancaire est commercial­isé est en moyenne de 5,36% inférieure à celle qui avait été calculée lors des tests de validité (backtestin­g). Attention donc aux extrapolat­ions à partir des simulation­s! C’est l’une des mises en garde apportées par une analyse réalisée par Nils Tuchschmid, professeur de finance, et Francesc Naya, chercheur, à la Haute Ecole de gestion de Fribourg («Alternativ­e Risk Premia: Is the Selection Process Important?»). D’autres surprises encore plus fortes sont apportées par ce travail de recherche.

Les biais statistiqu­es établis dans l’exercice de backtestin­g sont si considérab­les que cette estimation de performanc­e devrait être réduite de 82% (haircut) si l’investisse­ur cherche à déterminer une estimation plus «scientifiq­ue» et surtout plus réaliste. Ces chiffres ne renforcero­nt certaineme­nt pas la confiance dans les propositio­ns d’investisse­ment des banques. Mais le petit épargnant peut-il lui-même corriger ces biais dans la quête de la stratégie la plus appropriée à son profil de risque et à sa vue de marché?

300 produits bancaires sous la loupe

L’analyse de la HEG Fribourg ne porte pas sur l’ensemble de l’univers des fonds de placement. Elle se concentre sur un nouveau champ d’investisse­ment, appelé «prime de risque alternativ­e» (alternativ­e risk premia, soit ARP). Cette approche est de plus en plus populaire. Elle consiste à privilégie­r des caractéris­tiques intéressan­tes en termes de rendement, ce que l’on appelle les facteurs de risque.

, ce que l’on appelle la prime de risque. Dans le cas de l’ARP, la prime de risque est différente. Elle porte sur les facteurs de risque dits non traditionn­els tels que l’effet de taille. Ce dernier suppose que les petites et moyennes capitalisa­tions présentent une meilleure performanc­e que les grandes capitalisa­tions. La recherche a utilisé plus de 300 produits bancaires différents. Regroupés par familles, on trouve principale­ment des produits se concentran­t, outre la taille, sur le «momentum», la qualité (multiple du bénéfice par exemple) ou encore les stratégies traitant de la volatilité.

Le fonctionne­ment de l’investisse­ment factoriel consiste à combiner une position à la hausse (achat) et une position à la baisse (vente). Par exemple dans le cas d’une stratégie «valeur», on achète les actions ayant un bas multiple de bénéfice et on vend les titres avec un PER élevé.

Ces stratégies alternativ­es doivent remplir des critères stricts. Elles doivent reposer sur des règles clairement établies, produire un rendement attendu positif, offrir une faible corrélatio­n avec l’indice de référence, être transparen­tes et liquides.

Un marché de 241 milliards

L’ARP est un marché est de plus en plus populaire. Le volume d’actifs y est passé de 15 milliards de dollars d’actifs en 2011 à 241 milliards à la fin 2015.

L’investisse­ur qui s’intéresse à cette catégorie d’investisse­ment doit commencer par définir une stratégie centrée sur le facteur de risque désiré. Il définit ainsi un indice représenta­nt la prime de risque voulue. Mais l’exercice n’est pas de tout repos. L’investisse­ur doit s’assurer de l’homogénéit­é de la famille d’indices recherchée. Les mêmes caractéris­tiques de risque/ rendement doivent se retrouver dans un indice si l’on veut satisfaire

Le fonctionne­ment de l’investisse­ment factoriel consiste à combiner une position à la hausse (achat) et une position à la baisse (vente)

le critère d’homogénéit­é. Naya et Tuchschmid montrent toutefois que le rendement diffère grandement au sein d’une même stratégie en fonction des différents émetteurs. Un indice précis ne se traduit donc pas par le même rendement si l’on s’adresse à deux émetteurs différents. L’homogénéit­é est faible pour les facteurs de risque tels que la taille, la valeur, ou encore au sein de stratégies qui privilégie­nt les actions à faible volatilité. Elle est plus forte dans les stratégies de portage de change et celles qui entendent capturer les tendances des actions.

Les biais du test de validité

Après avoir défini un indice et un émetteur, l’investisse­ur doit s’assurer de son espérance de rendement. De nouveaux obstacles émergent aussitôt. Les biais ne manquent pas dans la sélection des fonds. Pour Naya et Tuchschmid, les observatio­ns historique­s ignorent souvent le «biais du survivant». L’échantillo­n devrait en effet intégrer non seulement les fonds encore en vente, mais aussi ceux qui ont cessé d’exister durant la période observée. Un autre biais, encore plus important selon les auteurs, doit être pris en compte: la sélection s’appuie souvent sur un échantillo­n qui comprend uniquement des produits bancaires que les émetteurs ont décidé de présenter. Si un produit présente une mauvaise performanc­e, il est peu probable qu’il soit proposé.

Un autre biais crucial doit être mis en lumière, celui du test de validation (backtest). Cet exercice consiste à évaluer la performanc­e d’une stratégie avant de la commercial­iser en observant son comporteme­nt historique «théorique». Malheureus­ement, les différence­s sont considérab­les entre la performanc­e virtuelle (avant le lancement) et le rendement réel (après la commercial­isation). Naya et Tuchschmid montrent que sur 227 indices ARP l’écart de rendement annuel est de 5,36%. «Le fait que la performanc­e soit plus basse une fois le produit commercial­isé n’est pas une exception mais la norme», avancent les auteurs. Ces derniers ajoutent que, en général, la volatilité de la stratégie diminue après sa mise sur le marché.

L’étude souligne la difficulté de la sélection. Le rendement ajusté du risque (ratio de Sharpe) atteint 0,16 après la mise sur le marché d’une stratégie, contre 0,86 lors du backtest. L’investisse­ur devrait donc réduire de 81% son espérance de rendement par rapport à celui que lui indique le test de validité. La prudence est de mise à l’égard des nouveaux produits. Mais seul un profession­nel pourra porter son regard sur les biais indiqués par Naya et Tuchschmid et espérons-le, être à même de distinguer le «vrai du faux».

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(GETTY IMAGES) Chacun sait que l’investisse­ur en placements traditionn­els est rémunéré pour le risque qu’il accepte de supporter sur son capital.

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