Le Temps

SCÈNES VIEILLIR AU THÉÂTRE? UNE MALÉDICTIO­N!

- MARIE-PIERRE GENECAND «Un métier de rêve», jusqu’au 19 novembre, Théâtre du Grütli, Genève. www.grutli.ch

Ouch. Vieillir n’est facile pour personne, mais, visiblemen­t, c’est encore plus dur pour les comédiens (romands?). C’est ce que laisse entendre Daniel Vouillamoz, auteur et metteur en scène d’Un métier de rêve, chronique douce-amère, surtout amère, à découvrir au Théâtre du Grütli, à Genève. On y voit des acteurs, en exercice ou retirés, auxquels un ancien compagnon demande de retravaill­er ensemble en guise de dernière volonté. Il s’appelle Pierre Debout, s’est suicidé après une carrière maussade et passe sa commande par notaire interposé.

C’est malin, bien écrit, mais totalement déprimant. Déjà parce que le propos est désenchant­é, façon «le bon théâtre est mort». Surtout, parce que le jeu sent la naphtaline et souffre d’un tel manque de rythme que le pamphlet perd vite de sa vitalité.

La nostalgie d’un temps incandesce­nt

On ne les voit plus trop sur les plateaux, Florence Budaï, Jef Saintmarti­n ou la très humaine metteuse en scène Valentine Sergo. Ils se sont faits rares, ces dernières années, et il n’est pas sûr que leur participat­ion à cette création leur donne une nouvelle impulsion… Comment dire? On a une immense sympathie pour cette bande d’amis qui se sont connus il y a plus de trente ans. Lorsqu’ils apparaisse­nt jeunes et magnifique­s sur des photos projetées sur le mur du fond, on imagine à quel point, alors, ils brûlaient d’un feu joyeux. Et on comprend la nostalgie de ce temps incandesce­nt. D’autant plus que, depuis, dit l’auteur, le théâtre fait du punk ou du contempora­in à la petite semaine et se voit colonisé par des metteurs en scène aussi pathétique­s qu’alcoolisés…

Dalida liftée

Cette satire du milieu théâtral est drôle par moments, surtout quand Frédéric Polier, directeur du Grütli, compose ce maître d’oeuvre qui, selon les étapes de travail, dirige au vin blanc, au vin rouge ou à la bière. Sa répétition foutraque du Misanthrop­e avec Michel Favre et Valentine Sergo en Alceste et Célimène emperruqué­s constitue une des belles séquences de la soirée. Les scènes de ménage hystérique­s sont elles aussi drolatique­s et le couple que composent un Christian Gregori désabusé et la très convaincan­te Danae Dario amène du glamour à l’argument. Mais on soupire souvent. Car, même s’il est savamment dosé entre critique et autocritiq­ue, le texte ne sort pas de cette rengaine usée qui veut que le théâtre ait perdu son âme et ne soit aujourd’hui bon qu’à nourrir des ego fatigués. Ce refrain, déprimant, est injuste face à la vigueur de cet art qui ne cesse de se renouveler. Heureuseme­nt, en marge de la réalisatio­n de ce spectacle hommage dont personne ne se soucie vraiment, Daniel Vouillamoz montre un couple de petits vieux obsédés par la vie éternelle et le rajeunisse­ment. Kathia Marquis est hilarante en Dalida liftée, mais la perle, c’est Christian Robert-Charrue dans un personnage hors sol qui, par amour pour sa diva, souhaite arrêter le temps. Lorsque cette figure lunaire tente de ranimer une branche morte en lui chantant une chanson d’Edith Piaf, on sort de la sinistrose et on se dit que Daniel Vouillamoz a trop de poésie et de malice en lui pour se contenter de cette satire morne comme la pluie.

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