Le Temps

LYRIQUE «FANTASIO», HYMNE À LA PAIX DOUX-AMER

- JULIAN SYKES «Fantasio» à l’ODN de Genève: jusqu’au 20 novembre. www.geneveoper­a.ch

Si, pour vous, Offenbach c’est la joie, la fête, les rasades de french cancan jusqu’à plus soif, passez votre chemin. Fantasio s’inscrit dans une autre veine. Ressuscité il y a peu, cet opéra-comique anticipe Les Contes d’Hoffmann par ses demi-teintes et sa poésie lunaire. Rien que «L’Ouverture», déjà, nous plonge dans un monde auréolé de mystère.

Non, disons-le, on ne rigole pas franchemen­t en allant voir cet opéra-comique adapté de l’oeuvre éponyme d’Alfred de Musset. Même le personnage principal – un étudiant endetté, chanté ici par un mezzo-soprano, qui choisit de se travestir en bouffon du roi – ne nous fait pas rire aux éclats. La richesse de Fantasio est ailleurs: dans sa veine mélodique, dans le raffinemen­t de l’orchestrat­ion. L’histoire est un hymne en faveur de la paix contre la guerre qui sonne un peu creux, mais que le jeune metteur en scène Thomas Jolly parvient à transcende­r par une vive imaginatio­n. Car ce qu’il y aà voir sur le plateau est beau. Par un système ingénieux de praticable­s et de trouvaille­s scéniques qui renvoient aux avancées technologi­ques de la fin du XIXe siècle (l’électricit­é, la photograph­ie), on est tout de suite plongé dans un univers féerique et poétique. Les jeux de lumière, la neige qui tombe, cette noirceur qui s’éclaire peu à peu, avec des coeurs qui s’échauffent au contact de lampions orangés, relèvent d’un théâtre artisanal dans le meilleur sens du terme. Les comédiens bougent bien sur la scène, avec certains tableaux très réussis, comme celui où des couturière­s déroulent la longue robe blanche de la mariée.

Certes, l’intrigue est assez mince et l’action peine à avancer. Le spectateur se rattrape avec la musique, que ce soit la «Ballade à la lune» de Fantasio ou la «Romance» de la princesse Elsbeth. Lumière du timbre, délié des vocalises, présence scénique: Melody Louledjian (la princesse Elsbeth) se hisse au sommet de la distributi­on. Katija Dragojevic (Fantasio) souffre d’une diction peu intelligib­le en français; elle compose un bouffon pas très à l’aise scéniqueme­nt, un peu effacé, dont le meilleur est son timbre velouté et sombre. Boris Grappe en roi de Bavière, Pierre Doyen en prince de Mantoue (vif mais un peu engorgé dans son air), Loïc Félix en Marinoni et Philippe Estèphe très dégourdi en Spark sont tous convaincan­ts. Le jeune chef hongrois Gergely Madaras traduit les charmes de la partition à la tête d’un OSR aux bois subtils et aux cordes frémissant­es. Mention spéciale aux choeurs inspirés. La fantaisie de Fantasio est ailleurs qu’on ne le croirait: dans ses interstice­s de lyrisme et de nostalgie douce-amère.

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