LYRIQUE «FANTASIO», HYMNE À LA PAIX DOUX-AMER
Si, pour vous, Offenbach c’est la joie, la fête, les rasades de french cancan jusqu’à plus soif, passez votre chemin. Fantasio s’inscrit dans une autre veine. Ressuscité il y a peu, cet opéra-comique anticipe Les Contes d’Hoffmann par ses demi-teintes et sa poésie lunaire. Rien que «L’Ouverture», déjà, nous plonge dans un monde auréolé de mystère.
Non, disons-le, on ne rigole pas franchement en allant voir cet opéra-comique adapté de l’oeuvre éponyme d’Alfred de Musset. Même le personnage principal – un étudiant endetté, chanté ici par un mezzo-soprano, qui choisit de se travestir en bouffon du roi – ne nous fait pas rire aux éclats. La richesse de Fantasio est ailleurs: dans sa veine mélodique, dans le raffinement de l’orchestration. L’histoire est un hymne en faveur de la paix contre la guerre qui sonne un peu creux, mais que le jeune metteur en scène Thomas Jolly parvient à transcender par une vive imagination. Car ce qu’il y aà voir sur le plateau est beau. Par un système ingénieux de praticables et de trouvailles scéniques qui renvoient aux avancées technologiques de la fin du XIXe siècle (l’électricité, la photographie), on est tout de suite plongé dans un univers féerique et poétique. Les jeux de lumière, la neige qui tombe, cette noirceur qui s’éclaire peu à peu, avec des coeurs qui s’échauffent au contact de lampions orangés, relèvent d’un théâtre artisanal dans le meilleur sens du terme. Les comédiens bougent bien sur la scène, avec certains tableaux très réussis, comme celui où des couturières déroulent la longue robe blanche de la mariée.
Certes, l’intrigue est assez mince et l’action peine à avancer. Le spectateur se rattrape avec la musique, que ce soit la «Ballade à la lune» de Fantasio ou la «Romance» de la princesse Elsbeth. Lumière du timbre, délié des vocalises, présence scénique: Melody Louledjian (la princesse Elsbeth) se hisse au sommet de la distribution. Katija Dragojevic (Fantasio) souffre d’une diction peu intelligible en français; elle compose un bouffon pas très à l’aise scéniquement, un peu effacé, dont le meilleur est son timbre velouté et sombre. Boris Grappe en roi de Bavière, Pierre Doyen en prince de Mantoue (vif mais un peu engorgé dans son air), Loïc Félix en Marinoni et Philippe Estèphe très dégourdi en Spark sont tous convaincants. Le jeune chef hongrois Gergely Madaras traduit les charmes de la partition à la tête d’un OSR aux bois subtils et aux cordes frémissantes. Mention spéciale aux choeurs inspirés. La fantaisie de Fantasio est ailleurs qu’on ne le croirait: dans ses interstices de lyrisme et de nostalgie douce-amère.