Les actions sont chères, et alors?
Le niveau de valorisation des actions fait aujourd’hui débat: pour certains, les modèles classiques (comme le ratio cours-bénéfice, PE) montrent que le marché serait cher, voire beaucoup trop cher, notamment en comparaison historique; pour d’autres, cette cherté n’en est pas une et la valorisation s’explique par des facteurs particuliers, croissance et niveau des taux par exemple. Qui a raison?
En arrière-fond du débat, deux questions se posent: comment évaluer la cherté d’un marché? Et quelle est l’utilité de ces modèles pour prendre des décisions de gestion?
Pour y répondre, partons des bases de la théorie financière, selon laquelle un actif vaut exactement le flux de trésorerie qu’il va rapporter en tenant compte de son risque (soit que ce flux ne se réalise pas). Pour juger de sa cherté, la valeur en bourse d’une société devrait donc toujours être comparée à ce qu’elle va générer en dividendes ou en bénéfices, en tenant compte du risque décrit plus haut.
Expansion synchronisée
Ce flux dépend de trois facteurs: la croissance des bénéfices – engendrant celle du dividende –, la rentabilité et le coût du capital. La croissance dépend en grande partie du cycle économique. Aujourd’hui, celui-ci, après des années de mollesse, est finalement reparti. L’économie mondiale est même en mode d’expansion synchronisée, chose rare. Jusqu’à quand? Et quel en est l’impact sur notre modèle de valorisation? N’oublions pas que dans tous les modèles, c’est le long terme qui représente la plus grande part de la valeur d’un actif, et non ce qui va se passer dans les deux ou trois prochaines années. Et c’est justement ce que l’on connaît le moins. Premier problème.
Passons à la rentabilité: elle représente ce que l’entreprise gagne pour chaque franc de capital investi, soit comment elle génère ses bénéfices. Sur ce point, les choses sont peut-être plus simples parce que cette rentabilité évolue peu dans le temps, en général. Mais elle est élevée aujourd’hui, et pourrait baisser en cas de ralentissement économique. Deuxième incertitude.
Venons-en au coût du capital: il mesure le coût d’opportunité d’un investissement – ou son niveau de risque. C’est une mesure relative, basée sur un taux dit «sans risque» auquel est ajoutée une prime. Celle-ci dépend des conditions du marché, mais aussi du sentiment des investisseurs. Et même si certaines hypothèses peuvent être faites sur ces variables, elles dépendent aussi du moral des investisseurs. On tourne en rond!
Prime de normalisation
De plus, ces dernières années, les banques centrales, dans leur tentative de sauver l’économie, ont injecté massivement des liquidités dans le marché, faisant artificiellement baisser le taux de base, et permettant ainsi de justifier le niveau de valorisation actuel. Ce taux est-il vraiment sans risque? Qu’adviendra-t-il le jour où les banques centrales arrêteront ces programmes? Ne devrait-on pas prévoir une prime «de normalisation»? Si oui, comment la calculer? Complexe. Malheureusement pour notre modèle, le coût du capital est la variable d’ajustement la plus importante.
En conclusion, si on peut sans difficulté justifier la valorisation des actions par l’environnement économique, les modèles nous aident surtout à comprendre ce que le marché pense des variables qui les sous-tendent, comme la croissance, la rentabilité ou le niveau de risque. Ils nous sont en revanche peu utiles pour prédire précisément quand aura lieu la prochaine baisse des marchés.