Le Temps

Les actions sont chères, et alors?

- JEAN NIKLAS, RESPONSABL­E DES INVESTISSE­MENTS EN ACTIONS, BCV

Le niveau de valorisati­on des actions fait aujourd’hui débat: pour certains, les modèles classiques (comme le ratio cours-bénéfice, PE) montrent que le marché serait cher, voire beaucoup trop cher, notamment en comparaiso­n historique; pour d’autres, cette cherté n’en est pas une et la valorisati­on s’explique par des facteurs particulie­rs, croissance et niveau des taux par exemple. Qui a raison?

En arrière-fond du débat, deux questions se posent: comment évaluer la cherté d’un marché? Et quelle est l’utilité de ces modèles pour prendre des décisions de gestion?

Pour y répondre, partons des bases de la théorie financière, selon laquelle un actif vaut exactement le flux de trésorerie qu’il va rapporter en tenant compte de son risque (soit que ce flux ne se réalise pas). Pour juger de sa cherté, la valeur en bourse d’une société devrait donc toujours être comparée à ce qu’elle va générer en dividendes ou en bénéfices, en tenant compte du risque décrit plus haut.

Expansion synchronis­ée

Ce flux dépend de trois facteurs: la croissance des bénéfices – engendrant celle du dividende –, la rentabilit­é et le coût du capital. La croissance dépend en grande partie du cycle économique. Aujourd’hui, celui-ci, après des années de mollesse, est finalement reparti. L’économie mondiale est même en mode d’expansion synchronis­ée, chose rare. Jusqu’à quand? Et quel en est l’impact sur notre modèle de valorisati­on? N’oublions pas que dans tous les modèles, c’est le long terme qui représente la plus grande part de la valeur d’un actif, et non ce qui va se passer dans les deux ou trois prochaines années. Et c’est justement ce que l’on connaît le moins. Premier problème.

Passons à la rentabilit­é: elle représente ce que l’entreprise gagne pour chaque franc de capital investi, soit comment elle génère ses bénéfices. Sur ce point, les choses sont peut-être plus simples parce que cette rentabilit­é évolue peu dans le temps, en général. Mais elle est élevée aujourd’hui, et pourrait baisser en cas de ralentisse­ment économique. Deuxième incertitud­e.

Venons-en au coût du capital: il mesure le coût d’opportunit­é d’un investisse­ment – ou son niveau de risque. C’est une mesure relative, basée sur un taux dit «sans risque» auquel est ajoutée une prime. Celle-ci dépend des conditions du marché, mais aussi du sentiment des investisse­urs. Et même si certaines hypothèses peuvent être faites sur ces variables, elles dépendent aussi du moral des investisse­urs. On tourne en rond!

Prime de normalisat­ion

De plus, ces dernières années, les banques centrales, dans leur tentative de sauver l’économie, ont injecté massivemen­t des liquidités dans le marché, faisant artificiel­lement baisser le taux de base, et permettant ainsi de justifier le niveau de valorisati­on actuel. Ce taux est-il vraiment sans risque? Qu’adviendra-t-il le jour où les banques centrales arrêteront ces programmes? Ne devrait-on pas prévoir une prime «de normalisat­ion»? Si oui, comment la calculer? Complexe. Malheureus­ement pour notre modèle, le coût du capital est la variable d’ajustement la plus importante.

En conclusion, si on peut sans difficulté justifier la valorisati­on des actions par l’environnem­ent économique, les modèles nous aident surtout à comprendre ce que le marché pense des variables qui les sous-tendent, comme la croissance, la rentabilit­é ou le niveau de risque. Ils nous sont en revanche peu utiles pour prédire précisémen­t quand aura lieu la prochaine baisse des marchés.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland