Le Temps

L’Arsenic, la fête à la performanc­e

Une soirée, deux spectacles et, chaque fois, une propositio­n insolite et un lien fort au public. Désormais, emmenée par Patrick de Rham, la salle lausannois­e aime les formes en rupture

- MARIE-PIERRE GENECAND

On dit que l’Arsenic aujourd’hui, ce sont Les Urbaines, toute l’année. Sous-entendu que, depuis que Patrick de Rham a repris la tête du théâtre lausannois, il y a injecté son amour des performanc­es propres au festival de décembre qu’il vient de quitter. De fait, les deux spectacles de cette semaine, en anglais non surtitré, tiennent beaucoup de cet art éruptif qui repose sur l’interpréta­tion et le lien au public. Pour le meilleur? Oui, en termes de légèreté et de connivence. Moins, parfois, en termes de rigueur. Reste l’attachemen­t, fort, pour ces artistes singuliers.

Première salve, Fun!, de Lea Moro, jeune chorégraph­e zurichoise. Cinq zozos se prennent pour des artistes du Bauhaus en coiffant des chapeaux en carton qui sont autant de formes géométriqu­es. Puis, tête nue, mais visage maquillé, ils chantent, dansent, font des tours de magie, viennent parler à l’oreille du public, se costument en oiseaux de cabaret, manipulent des Babibouche­ttes et racontent des anecdotes potaches.

L’attention aux petites choses

L’idée de Lea Moro? «Explorer les mécanismes du divertisse­ment contempora­in et ses contradict­ions. Entre désir, euphorie, peur et nostalgie.» De fait, ces danseurs tout de blanc vêtus font rire avec leur truc en plume, mais touchent aussi lorsqu’ils lèvent un voile sur leurs affections. L’une raconte qu’elle aime les cheveux, spécialeme­nt les cheveux de sa mère. Un autre décrit son trip à moto et la sensation de liberté qu’il en retire, tandis qu’un troisième, le pitre de la soirée – il faut le voir en tempête qui court!–, révèle son amour des saucisses. L’attention aux petites choses.

Le plus souvent, les joyeux glissent et gloussent. Trépignent et se trémoussen­t. Dans un esprit bon enfant. Au début, à l’apparition des créatures dignes d’Oskar Schlemmer, on craint l’exercice de style appliqué et un peu vain. Mais, au fil des délires, ce club des cinq nous emmène dans un terrain vague rempli de farces et attrapes qui régénère notre quotidien.

Une palme à Jana Sotzko. La designer sonore n’a pas souffert d’être transformé­e en Teletubbie­s. Son univers musical varié, ample et soigné apporte beaucoup à Fun!, propositio­n joliment givrée.

Un peu garçon, un peu fille

La remarque vaut aussi pour Price, alias Mathias Ringgenber­g, auteur et interprète de la deuxième salve de la soirée. La musique joue également un rôle capital dans sa pièce, Where Do You Wanna Go Today. Le fil de cette perfo? La promenade baroque et sensuelle d’un dandy, un peu garçon, un peu fille qui, tout en se cachant, interpelle sans cesse le spectateur sur son rapport à la transparen­ce.

Dans une ambiance capiteuse où son souffle, relayé au micro, évoque l’effort ou le désir, Price enfile des vêtements amputés ou amplifiés – pantalon et jupe combinés, sweat à capuche au dos dénudé, chemises en pièces, etc. – et entonne de sa voix suave des chants chamans. Mélopées, complainte­s, invitation­s au plaisir.

Le jeune homme brésilo-suisse a du charme avec ses boucles sombres, son corps d’ado et son regard lourd. Mais son propos sur la mort, l’éternité, le destin est un peu oiseux. Du coup, sa perfo, en mal de rigueur, traîne et s’étiole, même si on ne s’ennuie jamais tout à fait, saisi par l’originalit­é des tenues que le comédien enfile en se confrontan­t à des cadres. Ces châssis, à ses yeux, figurent des fenêtres sur la vie...

Dans le public qui vaque librement autour de l’artiste, l’attachemen­t est palpable. Mais plusieurs spectateur­s sont quand même sortis.

Fun!, jusqu'au 10 novembre; Where Do You Wanna Go Today, jusqu'au 12 novembre. Arsenic, lausanne. arsenic.ch

Les danseurs de «Fun!» font rire mais touchent aussi lorsqu’ils lèvent un voile sur leurs affections

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