Le Temps

Le Liban resserre les rangs pour exiger le retour de Saad Hariri

- LUIS LEMA @luislema

Dans les rues de Beyrouth, des affiches du premier ministre Saad Hariri clamant «Nous sommes tous Saad» ont été collées.

PROCHE-ORIENT Le chef du Hezbollah estime que «la détention» du premier ministre en Arabie saoudite équivaut à un «acte de guerre»

Il y a peu de pays aussi irrémédiab­lement divisés que le Liban. Mais l’Arabie saoudite est en train de réussir un tour de force: réunir contre elle l’ensemble du Pays du Cèdre, rassemblé pour réclamer le retour de son premier ministre, Saad Harari, qui se trouverait toujours à Riyad, peut-être contre son gré, après qu’il y a annoncé sa démission la semaine dernière.

Dernier soutien en date, a priori plutôt inattendu pour le premier ministre sunnite: Hassan Nasrallah, le chef de la milice pro-iranienne Hezbollah, a exigé vendredi la «libération» de Saad Hariri qui, selon lui, est «détenu» en Arabie saoudite. Le responsabl­e chiite, dans une allocution très attendue, en est venu à comparer cette situation à un «acte de guerre» commis par Riyad contre son pays. Le Liban aime les paradoxes: plusieurs dirigeants du Hezbollah sont accusés d’être à l’origine de l’attentat qui avait coûté la vie, en 2005, à Rafic Hariri, le père de Saad. Et c’est «la mainmise» de l’Iran et du Hezbollah sur le Liban que le premier ministre a mise en avant à l’heure de justifier sa démission.

Respecter «l’intégrité» du Liban

«Hassan Nasrallah a adopté un ton national, dans un discours qui se veut rassembleu­r. C’est en droite ligne de la stratégie du Hezbollah qui veut s’afficher non seulement comme le défenseur des frontières libanaises, mais aussi comme le garant de la stabilité de l’Etat», affirme Daniel Meier qui enseigne à l’Université de Genève et a écrit plusieurs ouvrages sur le Liban.

Au demeurant, les inquiétude­s – réelles ou prétendues – ne se limitent pas au camp chiite face à l’absence inexpliqué­e du premier ministre. Réunis dans sa résidence, ses proches et les responsabl­es de son parti, le Courant du futur, réclamaien­t eux aussi son retour immédiat

«Les chances sont très faibles que tout cela ne tourne pas mal» ROBERT MALLEY, ANCIEN DIRECTEUR

DE LA POLITIQUE PROCHE-ORIENTALE D’OBAMA

d’Arabie saoudite, semblant partager l’avis qu’il y était retenu contre sa volonté. Il n’y avait guère que le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, et le président français Emmanuel Macron pour défendre vendredi la thèse selon laquelle Saad Hariri est «libre de ses mouvements». Et encore: l’Américain a laissé percer des critiques inhabituel­les dans la bouche des responsabl­es de l’actuelle administra­tion américaine, semblant renvoyer dos à dos Iraniens et Saoudiens lorsqu’il demandait à «toutes les parties extérieure­s» de respecter «l’intégrité et l’indépendan­ce» du Liban.

Si la volonté de l’Arabie saoudite était de fragiliser la position du Hezbollah et de souder le camp sunnite derrière elle, le résultat n’est donc pas encore atteint. A en croire Daniel Meier, la stratégie menée par le prince héritier Mohammed Ben Salman n’en reste pas moins cohérente. «En faisant mine de retirer leur soutien à Hariri, les Saoudiens lancent un message clair: «sans nous, tout peut s’effondrer et la situation risque de tourner au chaos», disent-ils aujourd’hui à l’Iran et au Hezbollah.»

Risque d’explosion

L’interféren­ce constante de «parties extérieure­s», que ce soit les puissances régionales ou internatio­nales, est pratiqueme­nt consubstan­tielle du Liban contempora­in. Voilà pourtant longtemps que le pays n’avait pas semblé menacé d’être absorbé de manière aussi abrupte et directe par un agenda régional – en l’occurrence la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran – qui a déjà englouti en partie d’autres Etats du Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen…).

Saad Hariri finira-t-il par rentrer au Liban pour y déposer officielle­ment sa démission? Le Liban sera-t-il gagné par de nouvelles violences de la part d’extrémiste­s sunnites qui pourraient avoir le vent en poupe suite aux événements de cette semaine? Déjà, l’Arabie saoudite, suivie par tous ses alliés du Golfe, a demandé à ses ressortiss­ants de quitter le pays, disant craindre l’irruption d’une guerre. «Il y a tant de détonateur­s possibles, la communicat­ion est si mauvaise, il y a tellement de risques que quelque chose explose que les chances sont très faibles que tout cela ne tourne pas mal», résumait dans le New York Times Robert Malley, l’ancien directeur de la politique proche-orientale de Barack Obama.

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(HUSSEIN MALLA/AP PHOTO)

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