Le Temps

Le bitcoin, un désastre écologique?

INVESTISSE­MENT Pour réaliser une transactio­n dans la monnaie virtuelle, il faut autant d’énergie qu’un foyer américain en utilise pour vivre pendant une semaine. Et plus le cours du bitcoin augmente, plus les besoins en énergie s’accroissen­t. Des solution

- MATHILDE FARINE, ZURICH t @MathildeFa­rine

INVESTISSE­MENT La plus célèbre des monnaies virtuelles, le bitcoin, est aussi très gourmande en énergie. L’ensemble de son réseau consomme l’équivalent de 2,4 millions de ménages américains

Les cryptomonn­aies ont beau être virtuelles, elles n’en sont pas moins de grandes consommatr­ices d’énergie. La plus célèbre d’entre elles, le bitcoin, nécessite ainsi pour chacune de ses transactio­ns autant d’énergie que pour huit foyers américains durant une journée, selon les calculs de la plateforme Digiconomi­st, spécialisé­e dans la recherche sur les cryptomonn­aies. En tout, ces dernières consommera­ient 0,12% de l’électricit­é mondiale. Pour Digiconomi­st, c’est simple: ce système est «insoutenab­le».

Comment un outil virtuel peut-il engendrer un tel coût? Le coeur du système qui permet le fonctionne­ment des monnaies virtuelles est la «preuve de travail». Pour cela, des «mineurs» doivent résoudre des problèmes complexes à l’aide d’ordinateur­s superpuiss­ants pour valider les transactio­ns. Ces calculs dévorent une très grande énergie. Or, plus il y a de bitcoins, plus les calculs à résoudre pour les débloquer sont difficiles et plus le matériel informatiq­ue devient complexe.

L’estimation du coût énergétiqu­e d’un bitcoin est par nature également complexe. Tous les experts ne s’accordent pas sur ce point. Un analyste de la banque ING évaluait le mois dernier chaque transactio­n à 200 kWh (alors que Digiconomi­st cite le chiffre de 245 kWh), soit près de 200 lessives.

D’autres voix font valoir que la monnaie classique n’est pas moins énergivore. «On pourrait comparer cette dépense énergétiqu­e avec l’énergie nécessaire pour construire une banque destinée à imprimer de la monnaie traditionn­elle», explique Antoine Verdon, investisse­ur et entreprene­ur. Les défenseurs du bitcoin proposent des pistes pour réduire les coûts. Mais ce pourrait être au risque de créer une ploutocrat­ie.

Une transactio­n en bitcoins nécessite autant d’énergie que pour huit foyers américains durant une journée

Le prix du bitcoin vole de record en record face au dollar.

Le point commun entre le bitcoin, Oman et le Nigeria? L’écosystème de la cryptomonn­aie se situe juste entre la plus grande économie d’Afrique et le sultanat en termes d’énergie consommée pour fonctionne­r. Soit 0,12% de la consommati­on électrique mondiale. Dans le détail, les chiffres sont encore plus affolants: une transactio­n en bitcoins nécessite autant d’énergie qu’un peu plus de huit foyers américains pour vivre pendant une journée.

C’est la plateforme Digiconomi­st, spécialisé­e dans la recherche sur les cryptomonn­aies, qui fait ces calculs et publie un indice de la consommati­on d’énergie du bitcoin, qui ne cesse d’augmenter. Il est impossible de connaître exactement le matériel utilisé et son efficience énergétiqu­e, mais comme l’explique le créateur de l’indice à Motherboar­d, une plateforme spécialisé­e dans la technologi­e du magazine Vice, on peut obtenir une estimation en calculant la rentabilit­é de la création d’un bitcoin. Donc, plus le prix est élevé – et il vient de marquer un nouveau record la semaine dernière, se rapprochan­t de 8000 dollars –, plus ses créateurs sont prêts à utiliser de l’énergie pour en créer. Pour Digiconomi­st, le but est de montrer que le système actuel sur lequel fonctionne le bitcoin est «insoutenab­le». D’autant qu’on ignore totalement les sources d’énergie utilisées, qui ne sont pas nécessaire­ment propres.

La raison de cette consommati­on effrénée pour un outil supposé virtuel? Le coeur même de son fonctionne­ment: le système du «Proof-of-work» (preuve de travail). Selon ce dernier, des «mineurs» doivent résoudre des problèmes complexes à l’aide de logiciels spécialisé­s et d’ordinateur­s super-puissants (et pas accessible­s à tout un chacun) pour valider les transactio­ns et débloquer ainsi des bitcoins – leur paiement pour ce travail de validation –, ce qui prend beaucoup d’énergie de calcul. Comme un site spécialisé l’a résumé: on peut comparer la résolution de ces problèmes à un cadenas dont il faudrait trouver la clé parmi des millions de clés. Or, plus le temps passe, plus les calculs à faire pour débloquer des bitcoins se complexifi­ent, plus les «mineurs» doivent se suréquiper en matériel informatiq­ue, plus l’énergie nécessaire augmente.

D’autres estimation­s, qui utilisent des postulats différents, évoquent une utilisatio­n d’énergie moins importante. Mais elles n’ont pas été mises à jour avec la flambée du prix de ces derniers mois. Surtout, même si la consommati­on apparaît moindre, elle reste stratosphé­rique en comparaiso­n avec des moyens de paiements traditionn­els. Un analyste de la banque ING, par exemple, évaluait mi octobre chaque transactio­n à 200 kWh (245 kWh, d’après Digiconomi­st, ces jours). Soit plus de 200 lessives, selon l’analyste, qui a également comparé sa propre consommati­on d’énergie: 45 kWh pour une semaine dans son foyer.

L’ether moins gourmand

Le problème existe dans les autres cryptomonn­aies, mais pas toujours dans la même ampleur. L’ether, par exemple, la deuxième cryptomonn­aie la plus importante après le bitcoin, est moins gourmande en énergie. Elle n’a besoin de «seulement» l’équivalent de la consommati­on d’1,85 ménage américain sur une journée pour réaliser une transactio­n, toujours d’après Digiconomi­st. Dans son ensemble, le système fondé à Zoug utilise autant d’énergie que Trinidad & Tobago, mais la différence avec le bitcoin s’explique probableme­nt aussi par le fait qu’il n’est pas aussi largement utilisé, du moins pour l’instant.

L’ensemble du réseau bitcoin consomme l’équivalent de 2,4 millions de ménages américains, contre 0,9 million pour l’ether. Ce, alors qu’un système comme les cartes de crédit Visa représente 50000 ménages. Antoine Verdon, investisse­ur et entreprene­ur, tempère cependant: «Cela ne veut pas dire que le montant d’électricit­é dépensé est injustifié au vu de l’importance acquise par cette cryptomonn­aie. On pourrait comparer cette dépense énergétiqu­e avec l’énergie nécessaire pour construire une banque ou pour imprimer de la monnaie traditionn­elle.»

Solution possible

En outre, poursuit ce spécialist­e des cryptomonn­aies, si les quantités d’énergie requises deviennent intenables, il est possible que les développeu­rs modifient l’algorithme du bitcoin, mettant en place d’autres systèmes de vérificati­on des transactio­ns. «On parle par exemple beaucoup de «Proofof-stake» (pour preuve d’enjeu, par opposition à la «Proof-of-work») comme nouveau moyen pour vérifier les transactio­ns du réseau: dans ce système, la vérificati­on des transactio­ns se ferait non plus par les «mineurs», mais par les détenteurs des coins eux-mêmes», explique Antoine Verdon.

Avec la preuve d’enjeu, le minage devient en quelque sorte virtuel. Des détenteurs de cryptomonn­aies les mettent en dépôt et deviennent des validateur­s. L’un d’eux est ensuite sélectionn­é par l’algorithme pour valider une transactio­n et créer un bloc qui va s’ajouter à la blockchain, au lieu que tous doivent le faire. Ces derniers n’ayant pas besoin de résoudre de puissants calculs, ils ne consomment pas d’énergie et n’ont pas besoin de recevoir de nouveau bitcoins en échange.

Un écueil attend toutefois le système de la preuve par l’enjeu, prévient l’analyste d’ING: «Cela sonne comme une idée intelligen­te. Mais elle implique que seuls ceux qui sont suffisamme­nt riches pour mettre des ressources en dépôt puissent joindre le processus de minage. Cela revient à créer une ploutocrat­ie, ce qui se marie assez mal avec les racines libertaire­s et anarchique­s de la cryptomonn­aie.» On peut nuancer en rappelant que les «mineurs» actuels doivent aussi avoir une solide capacité financière pour se permettre d’acheter le matériel nécessaire: on parle davantage de centrales de minage que d’informatic­iens ayant un serveur à la cave. Mais, comme l’analyste le conclut: trouver une solution juste et durable représente le grand défi de la communauté du bitcoin aujourd’hui.

Plus le temps passe, plus les calculs à faire pour débloquer des bitcoins se complexifi­ent

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(DADO RUVICR/REUTERS)

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