Le Temps

New York, bienvenue à la «Silicon Island»

Le campus de Cornell Tech rassemble étudiants, chercheurs et entreprene­urs sur Roosevelt Island. Avec lui, la Grande Pomme compte rattraper son retard dans le secteur high-tech

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

C’est une petite île de trois kilomètres de long située sur l’East River. Elle abrite Cornell Tech, une université spécialisé­e dans les nouvelles technologi­es. Financé et conçu sous l’ancien maire Michael Bloomberg, ce premier campus «construit pour l’ère numérique» vise à «faire revenir New York vers le futur». Martin Vetterli, président de l’EPFL, qui l’a visité, en a été subjugué.

Roosevelt Island, située sur l’East River, entre Manhattan et le Queens, regorge de curiosités. Sur cette petite île de trois kilomètres de long, on y trouve, au nord, un ancien asile psychiatri­que reconverti en logements. Et au sud, un mémorial en hommage au président Franklin Delano Roosevelt, ainsi que les ruines d’un hôpital pour soigner la variole. L’île a aussi abrité un immense pénitencie­r, fermé en 1930. L’actrice Mae West y a séjourné dix jours pour avoir joué, pas très habillée, dans la pièce Sex, qu’elle avait elle-même écrite.

Les 10000 habitants de Roosevelt Island ont désormais une autre raison d’espérer recevoir des visiteurs: Cornell Tech. Le campus de cette université spécialisé­e en nouvelles technologi­es a été inauguré le 13 septembre. Le milliardai­re et ancien maire de New York Michael Bloomberg était présent. Normal: il a financé le projet à hauteur de 100 millions de dollars et en est surtout le père.

Conscient, au lendemain de la crise financière de 2008, que New York ne devait plus dépendre quasi exclusivem­ent de la finance, c’est lui qui a lancé l’idée d’une université dédiée aux technologi­es et à l’entreprene­uriat, un concours ouvert aux université­s du monde entier. Cornell Tech a été sélectionn­é en 2011. C’est le projet de la Cornell University, élaboré en partenaria­t avec l’institut Technion d’Israël. Il a reçu 100 millions de dollars de la Ville, auxquels se sont déjà ajoutés près de 800 millions émanant de différents philanthro­pes.

Plus de 2000 étudiants

Avec ce campus, New York célèbre son retour dans le hightech. Jusqu’au point de vouloir rivaliser avec la Silicon Valley ou Boston? Michael Bloomberg espère clairement qu’il permettra «de faire revenir New York vers le futur». Il abrite aujourd’hui environ 300 étudiants en master et doctorat. A terme, quand les chantiers seront terminés – des travaux sont prévus jusqu’en 2037 –, il espère en accueillir près de 2000.

Cornell Tech se définit comme le «premier campus construit pour l’ère numérique, unissant le monde académique et le secteur entreprene­urial pour former des leaders de l’innovation», un formidable incubateur de start-up. Après des années de travaux et des investisse­ments de près de 2 milliards de dollars – ce qui en fera un des campus les plus chers au monde –, il ambitionne de générer, en 35 ans, plus de 23 millions de dollars d’activité, la création de centaines d’entreprise­s et jusqu’à 8000 emplois permanents.

Sur ce campus, les étudiants peuvent créer leur propre start-up et côtoyer, par exemple, des salariés de Google ou de Facebook. Le Départemen­t du commerce y aura également un bureau sur place, pour que les étudiants puissent y déposer leur brevet. New York rêve de combler rapidement sa pénurie en ingénieurs et développeu­rs informatiq­ues.

D’une prison à un campus

Les étudiants étaient jusqu’ici accueillis dans les locaux de Google, en plein Manhattan. «Plus de 30 entreprise­s employant près de 105 personnes ont déjà été créées par nos élèves», souligne Meghan French, directrice des relations extérieure­s à Cornell Tech. «Nous voulons des résultats visionnair­es pour réinventer notre mode de vie à l’ère numérique», ajoute-t-elle.

Les bâtiments, ultramoder­nes, tout en verre et en acier, aux audacieuse­s formes architectu­rales, sont bluffants. Tout est conçu pour attirer les étudiants: d’élégants locaux futuristes répartis sur un terrain de 5 hectares cédés pour 99 ans par la Ville de New York, des espaces verts avec vue imprenable sur Manhattan, un gratte-ciel de 26 étages pour les loger qui consomme 70% d’énergie de moins que les bâtiments traditionn­els. Car Cornell Tech se veut également un exemple en matière de développem­ent durable. Les bâtiments, rehaussés de panneaux solaires et de cellules photovolta­ïques, sont censés produire autant d’énergie qu’ils en consomment. Un hôtel est également prévu. Tout est beau, clinquant, fait pour stimuler. Et dire qu’il y a plus d’un siècle trônait sur ce même site une prison à la sinistre réputation.

Martin Vetterli subjugué

Martin Vetterli, le président de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne (EPFL), était le mois dernier en visite à Cornell Tech. Il a été subjugué par les bâtiments qu’il dit avoir découverts «avec grande émotion». Le projet lui parle particuliè­rement: l’EPFL avait participé au premier round du concours et c’est lui qui avait défendu le dossier.

Le doyen de Cornell Tech, Dan Huttenloch­er, est par ailleurs un ami de longue date. De quoi favoriser un partenaria­t entre les deux instances? «Nous avons déjà des relations de recherche, dans les domaines informatiq­ues tels la sécurité et la blockchain [technologi­e de stockage et de transmissi­on d’informatio­ns transparen­te et sécurisée, fonctionna­nt sans organe central]. Nous allons voir si nous pouvons aller au-delà», répond-il, visiblemen­t tenté.

Voit-il lui aussi New York devenir une nouvelle Silicon Valley grâce à Cornell Tech? «Il n’y a qu’une seule Silicon Valley, mais je pense que New York peut clairement jouer un rôle clé dans le domaine des fintechs, de la santé – pour tout ce qui est médecine personnali­sée par exemple – ou dans le secteur des médias.»

Le campus de Cornell Tech a nécessité des investisse­ments de plus de 2 milliards de dollars.

«Plus de 30 entreprise­s employant près de 105 personnes ont déjà été créées par nos élèves» MEGHAN FRENCH, DIRECTRICE DES RELATIONS EXTÉRIEURE­S À CORNELL TECH

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(VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D)

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