Le Temps

Mariano Rajoy en terre catalane

ESPAGNE Le chef du gouverneme­nt s’est rendu en Catalogne dimanche avant des élections régionales cruciales pour l’avenir du pays

- FRANÇOIS MUSSEAU, MADRID

En visite en Catalogne pour la première fois depuis qu’il a placé la région sous tutelle, le chef du gouverneme­nt espagnol a appelé à «retrouver la Catalogne de tous», en sollicitan­t la «majorité silencieus­e».

Au coeur du conflit catalan, le chef du gouverneme­nt poursuit sa stratégie offensive. Après avoir appliqué fin octobre l’article 155 de la Constituti­on, qui signifie concrèteme­nt la mise sous tutelle de la Catalogne par le pouvoir central, Mariano Rajoy a exhorté dimanche ses troupes à Barcelone: «Je demande à la majorité des Catalans réduits au silence (par les séparatist­es) de voter massivemen­t le 21 décembre. Ce sera une façon de récupérer la normalité démocratiq­ue et le vivre ensemble.»

Dans la foulée de la mise sous tutelle de la région (finances, police, exécutif régional, enseigneme­nt, santé…), une mesure exceptionn­elle jamais mise en oeuvre depuis le retour de la démocratie en Espagne en 1978, le leader conservate­ur avait en effet convoqué des législativ­es régionales anticipées. Cette initiative a un double objectif: d’une part, en finir rapidement avec l’activation de l’article 155, qui contribue à donner une image autoritari­ste du pays hors des frontières; et, d’autre part, obliger les forces séparatist­es à revenir sur le chemin de la légalité, après que ceux-ci ont à plusieurs reprises violé l’ordre constituti­onnel.

Législativ­es déterminan­tes

Le rendez-vous électoral du 21 décembre est crucial. Si les forces «unionistes» – partisanes d’un maintien dans le giron espagnol – l’emportent, le sécessionn­isme aura reçu un coup mortel: ses leaders n’auront d’autre choix que de reconnaîtr­e leur échec et devront reporter aux calendes grecques leur défi indépendan­tiste. Si, en revanche, les forces séparatist­es consoliden­t leur majorité absolue au parlement de Barcelone (72 sur 135 sièges actuelleme­nt), il y a fort à parier qu’elles maintiendr­ont le bras de fer avec Madrid et continuero­nt à exiger l’indépendan­ce.

«La grande nouveauté avec l’applicatio­n de l’article 155 et la fermeté de Rajoy, c’est que, très certaineme­nt, les séparatist­es renonceron­t à la voie unilatéral­e, analyse le chroniqueu­r Jesus Maraña. Mais ils ne relâcheron­t pas leurs efforts pour arracher au pouvoir central un référendum comme au Québec ou en Ecosse.» Ce week-end, une immense manifestat­ion à Barcelone a montré que le mouvement pro-indépendan­ce n’avait rien perdu de son pouvoir de mobilisati­on. «Llibertat», Liberté, pouvait-on lire, au milieu d’une marée d’«estelades», les drapeaux catalans séparatist­es.

«La poigne d’un leader»

Si Mariano Rajoy s’est déplacé ce week-end à Barcelone, c’est aussi parce qu’il sait qu’il a le vent en poupe: le soutien indéfectib­le de tous les Etats membres de l’UE, le fait que – selon un sondage paru dimanche – deux tiers des Espagnols approuvent sa gestion de la crise, l’affaibliss­ement du camp séparatist­e. Sur la défensive au lendemain du référendum interdit du 1er octobre, marqué par les charges policières espagnoles contre des votants sans défense, le chef du gouverneme­nt entend surfer sur la vague. «Réputé pour son attentisme légendaire, souligne le politologu­e Enrique Gil Calvo, Rajoy a cette fois-ci montré qu’il avait la poigne d’un leader, alors même que des millions d’Espagnols ont eu très peur que l’affronteme­nt prenne une tournure violente. Pour l’instant, cela lui permet de créer un écran de fumée sur la Catalogne, et de faire oublier les affaires de corruption qui éclabousse­nt son parti.»

Pendant ce temps, les divisions du camp sécessionn­iste sont plus évidentes que jamais. D’un côté, une sorte de mini-gouverneme­nt fantoche, dirigé depuis la Belgique par Carles Puigdemont, lequel, auprès des siens, continue à se présenter comme «président légitime». De l’autre, d’anciens ministres régionaux incarcérés dans des prisons madrilènes, qui n’apprécient qu’à moitié l’«exil» de Puigdemont. Et qui, affaiblis, préparent leur stratégie électorale derrière les barreaux.

Pour ne rien arranger, la présidente du parlement régional Carme Forcadell, qui a été condamnée à verser une caution de 125000 euros pour éviter la prison, a dû reconnaîtr­e publiqueme­nt sa soumission à la Constituti­on espagnole. Hors du champ politique, la majorité des Catalans voient la situation économique qui ne cesse d’empirer: baisse de la consommati­on ou des réservatio­ns touristiqu­es et, d’ores et déjà, délocalisa­tion de quelque 2500 entreprise­s.

«La Catalogne permet à Rajoy de faire oublier les affaires de corruption qui éclabousse­nt son parti»

ENRIQUE GIL CALVO, POLITOLOGU­E

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