Métro, boulot, dodo, sanglots
PSYCHOLOGIE Un roman français qui raconte comment échapper à la routine fait un carton en librairie depuis maintenant deux ans. Le signe d’une société qui craint la monotonie et cherche des solutions pour y échapper
«Vous souffrez probablement d’une forme de routinite aiguë. – D’une quoi? – Une routinite aiguë. C’est une affection de l’âme qui touche de plus en plus de gens dans le monde, surtout en Occident.» Ces lignes sont tirées du livre de la Française Raphaëlle Giordano, Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une(Editions Eyrolles, 2015). Mi-roman, mi-livre de coaching personnel, l’ouvrage est devenu un best-seller, y compris en Suisse. «J’ai nommé ça la routinite, pour que ce soit un peu amusant. La routinite, c’est le désenchantement», raconte-telle. Personnage central de son bouquin, Claude, un «routinologue», que rencontre l’héroïne.
Routinologue «dans la vraie vie», c’est le métier de la soeur de Raphaëlle Giordano, Stéphanie Assante. Autrement dit, un coach de vie qui aide à pimenter le quotidien, via un suivi par vidéoconférences. Elle explique: «Les gens qui me contactent ont besoin de changement. Mais ce n’est pas forcément dû à un événement dramatique, ça peut toucher tout le monde. Beaucoup me disent: «J’ai tout pour être heureux, mais je ne le suis pas. On essaie de mettre des mots sur ce qu’ils veulent.»
Et ce que les gens veulent a changé, selon elle! «Dans nos pays riches, il ne suffit plus d’avoir un travail qui rapporte de quoi vivre, d’avoir une belle maison. Les gens veulent trouver du sens à leur vie, être spéciaux.» Une société qui souffre plus de la routine qu’avant, donc? C’est aussi l’avis de la psychologue Elise Dan-Glauser, chercheuse au Laboratoire d’étude des processus de régulation cognitive et affective à l’Université de Lausanne: «On en souffre plus aujourd’hui avec l’avènement des médias sociaux: les comparaisons sociales intensifient l’idée que la vie des autres semble plus excitante.» Elle juge aussi que dans la société actuelle, une vie «routinière» est mal perçue: elle est vue comme ennuyeuse.
La routine est pourtant nécessaire à notre stabilité. «En créer, c’est une façon de se simplifier la vie: les choses peuvent être faites sans consommer trop de ressources. Traiter en continu des situations nouvelles serait très fatigant. L’être humain aime conserver ses ressources pour les situations urgentes», explique Elise Dan-Glauser. Devoir tout le temps s’adapter à du nouveau entraînerait une perte de contrôle invivable. Stéphanie Assante distingue aussi routine de rituel, plus positif: faire son yoga le matin, prendre un repas en famille le dimanche. «On a besoin de repères, et certains sont bénéfiques.»
Mais si la routine est inévitable, comment agir lorsqu’elle devient morose? Pour les deux soeurs, le mot d’ordre est la créativité: «Faire des choses pour la première fois et oser aborder le monde comme un explorateur émerveillé, pas comme un adulte blasé», propose Raphaëlle Giordano. «Faire un carnet du positif, pour cibler les moments où on ressent de l’enthousiasme», avance Stéphanie Assante. Pour Elise Dan-Glauser, comme le sentiment de contrôle est un élément essentiel du bien-être, il faut privilégier un quotidien que nous avons nous-même choisi: «Peut-on remplacer une routine par une autre routine, qui nous paraîtrait moins gênante?» Et il ne faut pas oublier non plus les surprises, «un élément essentiel du plaisir».
Un équilibre nécessaire donc, entre train-train inévitable – et même confortable – et nouveauté pour retrouver son âme d’enfant. Et chasser, au plus vite, cette vilaine routinite.
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