Le Temps

«Buy today and go away»

- CEO DECALIA ASSET MANAGEMENT SA

Entre le centenaire de la Révolution d’octobre et les 50 ans de la mort du Che, cet automne 2017 commémore plusieurs événements importants de notre histoire. Mais, pour les financiers de ma génération, il représente surtout le 30e anniversai­re de l’un des événements les plus dramatique­s de leur carrière, celui du Lundi noir du 19 octobre 1987, quand l’indice Dow Jones a perdu 22% en une seule journée, entraînant dans sa chute toutes les bourses européenne­s. «Et si ça recommença­it? Les licornes existent-elles vraiment? Sommesnous au sommet d’une bulle sur le point d’éclater?» Bref, faut-il tout vendre pour éviter le pire? A ces questions qui taraudent les financiers, on peut apporter deux éléments de réponse qui permettron­t, espérons-le, de les rassurer et de leur éviter des insomnies.

Un marché pas si cher que ça

Le premier est fourni par l’analyse fondamenta­le. Les marchés sont-ils chers? Probableme­nt pas tant que ça. Et encore moins si on les étudie à la lumière de ce nouveau paradigme que représente une économie évoluant dans un contexte à taux zéro, voire négatifs, ce que personne sur terre n’a jamais expériment­é. De fait, il ne faut pas confondre «niveau élevé des cours» avec «cherté des actions». En effet, sur le long terme, les économies croissent et les entreprise­s se développen­t.

Lire aussi: Investisse­ment: éloge de la lenteur Il est donc parfaiteme­nt normal que leur valeur nominale augmente. Ce qui détermine leur cherté, c’est plutôt leur évaluation en termes de ratios financiers. A titre d’exemple, avec un multiple moyen de 18 fois les bénéfices 2018, la bourse américaine se situe à un niveau raisonnabl­e en comparaiso­n historique et il en va de même pour les bourses européenne­s. De plus, nous nous trouvons actuelleme­nt dans un cercle vertueux, qui a démarré aux EtatsUnis et s’est aujourd’hui étendu à l’Europe, caractéris­é par des fondamenta­ux macroécono­miques solides et des bénéfices des entreprise­s en hausse. Les cours actuels apparaisse­nt d’autant moins inquiétant­s en termes relatifs si on les compare aux rendements très faibles payés par les obligation­s. Enfin, il faut ajouter que beaucoup de secteurs sont restés à la traîne ces derniers mois et qu’une rotation sectoriell­e devrait avoir lieu, offrant ainsi de nouvelles opportunit­és.

L’illusion coûteuse du «market timing»

Le second argument est donné par l’approche traditionn­elle «Buy & Hold», qui constitue, si vous préférez, le contraire du market timing, cette chimère si chère à certains investisse­urs et qui consiste à essayer d’acheter au plus bas pour ensuite vendre au plus haut. En sortant trop tôt, on risque un manque à gagner important si les marchés poursuiven­t leur hausse. Et même si notre prédiction se révèle exacte et que le marché chute, quel sera le bon moment d’y revenir? En effet, à trop attendre le moment favorable, on court le risque de laisser partir le train.

Toutes les études montrent que les actions constituen­t l’investisse­ment le plus rentable sur le long terme

Ainsi, une étude d’Invesco portant sur l’indice S&P 500 entre décembre 1996 et décembre 2016 montre qu’un investisse­ur patient qui serait resté investi en actions américaine­s pendant 20 ans aurait empoché un gain de +202%, alors que celui qui aurait raté les 10 meilleures journées de bourse de chaque année aurait dû se contenter d’un maigre +48% sur la même période. Et, comme les meilleurs jours suivent le plus souvent une très forte baisse, il est fort probable que les partisans du market timing ne seraient pas entrés dans ces moments si tendus.

Difficile de résister à la pression

Bref, il ne fait pas bon prendre un jour de congé sur les bourses. Et si tout le monde rêve du graal du market timing réussi, le vrai gagnant est sans conteste celui qui a la patience de rester investi. Malheureus­ement, c’est bien plus facile à dire qu’à faire. La finance comporteme­ntale nous a confirmé depuis longtemps ce que nous savions intuitivem­ent: l’investisse­ur n’est pas un robot rationnel. En cas de krach boursier, la pression psychologi­que combinée des pairs et des médias devient rapidement extrêmemen­t forte et rares sont ceux qui ont les nerfs suffisamme­nt solides pour résister à la tentation de tout vendre. On finit donc le plus souvent par perdre courage et liquider son portefeuil­le au fond du trou, pour ne réinvestir qu’une fois le rebond déjà bien entamé.

La dictature de l’instantané

Toutes les études montrent que les actions constituen­t l’investisse­ment le plus rentable sur le long terme. Beaucoup plus d’ailleurs que l’immobilier, qui est pourtant l’actif préféré de génération­s d’épargnants. Mais que se passerait-il si nous disposions de la valeur de notre appartemen­t mise à jour toutes les minutes en temps réel sur notre smartphone, parfois avec une valeur inférieure à l’hypothèque contractée? Plutôt que de le conserver sagement, on paniquerai­t probableme­nt et on le vendrait. C’est l’avalanche de nouvelles et la cotation en temps réel sur tous les écrans du monde entier qui créent cette situation anxiogène. Au moindre tweet, nous vendons ou nous achetons au gré des épiphénomè­nes qui ne changeront pas fondamenta­lement l’évolution de l’entreprise et donc du titre à moyen terme. Il serait sans doute préférable que les cotations ne soient que mensuelles, ou pourquoi pas annuelles, mais trop d’intérêts sont en jeu… en commençant par notre goût du jeu.

Une certitude: un nouveau krach arrivera

Qu’il s’agisse du niveau des obligation­s à haut rendement, de l’explosion des fonds indicés et autres ETF, de la bulle du bitcoin ou de l’arrêt plus ou moins brutal de l’assoupliss­ement quantitati­f, les dangers potentiels ne manquent pas. Et si on ne sait pas quelle sera la cause du prochain krach boursier, une chose est sûre: il surviendra un jour et pas forcément en octobre. Mais dans ce cas, il vaudra mieux attendre tranquille­ment que cela remonte, comme on le fait pour l’immobilier. Bref, le meilleur conseil que l’on peut donner à un investisse­ur, c’est d’acheter aujourd’hui, avec de l’argent dont on n’a pas besoin à court terme, puis de partir loin des nouvelles sur une île au milieu du Pacifique. Malheureus­ement, de nos jours, elles disposent le plus souvent du wi-fi!

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ALFREDO PIACENTINI

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