Le Temps

«Personne ne se soucie plus des graphismes»

Sans miser sur la puissance, Nintendo est parvenu à imposer son style sur le marché des jeux vidéo. Pour son directeur pour l’Europe centrale, céder ses Pokémon et autres licences phares a permis au groupe japonais de mieux vendre ses propres jeux

- PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

C'était il y a moins de trois ans. Le cours de l'action Nintendo frôlait le plancher, plombé par les ventes de la Wii U, la console la moins vendue de sa génération. Au salon du jeu vidéo E3 à Las Vegas, le groupe nippon décevait également la communauté du jeu vidéo en annonçant le décalage de la sortie de son jeu phare Zelda ainsi que sa nouvelle console, alors baptisée du nom de code NX.

Depuis, tout a changé. A commencer par le nom de la console qui est en passe de pulvériser tous les records de vente. Il pourrait se vendre 130 millions de consoles Switch d'ici à 2022, selon Credit Suisse. Entretien avec Bernd Fakesch, son directeur pour la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche.

La Switch dépasse toutes les attentes commercial­es. Un soulagemen­t? Nous sommes très heureux. Mais je n'appellerai­s pas ça un soulagemen­t. Nos développeu­rs ont visé juste avec le concept hybride de la Nintendo Switch [une console de salon qui peut être transformé­e en plateforme mobile grâce à un écran intégré, ndlr]. Les consommate­urs veulent de la flexibilit­é, ils veulent avoir la liberté de jouer avec qui, quand et où ils veulent. Nous ne voulons pas rivaliser avec nos concurrent­s en termes de résolution­s et de pixels. Mais quand les gens jouent à Mario Kart, personne ne se soucie plus des graphismes, ce qui compte c'est le fun et le «jouer-ensemble».

Le secteur du jeu vidéo est particuliè­rement cyclique avec les sorties de nouvelles consoles. J’imagine quand même que Nintendo a vécu des moments angoissant­s avec l’échec de la Wii U… C'est un marché très mouvementé, il est vrai. On est rapidement en haut de la pente et rapidement en bas. Mais quand on lance une console, on développe déjà la prochaine. Même durant l'ère de la Wii U, nous avons gardé des licences fortes nous garantissa­nt des rentrées financière­s.

La capitalisa­tion de Nintendo (plus de 50 milliards de dollars) dépasse celle de votre grand rival Sony. Une revanche? Nous ne réfléchiss­ons pas de cette façon. Les retours de joueurs sont très positifs, c'est ce qui compte. Ce qui m'impression­ne c'est que Nintendo vient d'être désignée quatrième entreprise la plus fiable par le magazine américain Forbes pour 2017. Ce n'est pas qu'une question de puissance financière.

Les problèmes de stocks ont-ils eu un impact sur les ventes? C'est une question difficile. Nous avions prévu de vendre 2 millions d'unités de la Nintendo Switch mais les ventes ont démarré plus fort. Nous avons finalement réussi à livrer 2,7 millions d'unités, plus que pour aucune console Nintendo auparavant. C'est toujours difficile d'anticiper comment une console sera perçue par les joueurs. Nous planifions d'en vendre 16,7 millions d'ici à la fin de notre année fiscale, en mars 2018.

Des problèmes d’accès à certains composants (écrans d’affichage en cristaux liquides) ont-ils joué un rôle dans ce délai? Pas que je sache. Il a surtout été question d'ajouts de nouvelles lignes de production dans nos usines. Nous avons réagi aussi vite que nous avons pu et nous sommes prêts pour la période des Fêtes.

Combien de Switch se sont vendues en Suisse? Nous ne communiquo­ns pas de résultats par pays. Il y en a eu 400 000 sur la zone Allemagne-Autriche-Suisse [ce dernier marché représente entre 10 et 15% des ventes, selon nos estimation­s, ndlr].

Il y a deux ans, lors d’un entretien, vous expliquiez cibler les femmes suisses. Où en êtes-vous? Nintendo a un potentiel immense en dehors des joueurs traditionn­els comme les femmes. Beaucoup de nos jeux 1-2-Switch ou Mario Kart Deluxe 8 sont conçus pour intéresser toute la famille. Mais nous avons encore du potentiel à exploiter, la part des femmes est encore au-dessous de celle des autres joueurs.

«Super Mario Odyssey» est sorti le 27 octobre. «Zelda» a accompagné le lancement de la Switch. Les sorties sont-elles échelonnée­s pour soutenir les ventes de consoles? Dans ce milieu, ce sont les jeux qui vous permettent de vendre des consoles (software sells hardware). C'est la règle d'or. Il est donc primordial d'assurer un suivi des sorties qui ait du sens vis-à-vis des consoles. Avec la Nintendo Switch, il y a eu une sortie de titre phare par mois: The Legend of Zelda: Breath of the Wild, Mario Kart 8, Arms, Splatoon 2, FIFA 18 et maintenant Super Mario Odyssey [il poursuit son énumératio­n, ndlr]. Nous avons en plus une line-up très diversifié­e en termes de genres.

Après «Pokémon GO», un jeu «Mario et les Lapins crétins» est sorti en août. Ne craignez-vous pas de diluer les personnage­s iconiques de Nintendo en les cédant/prêtant à des tiers? Nous ne sommes pas inquiets. Je suis personnell­ement très heureux que Nintendo ait pris la décision d'ouvrir ses licences. Avant son décès, Satoru Iwata [l'ancien directeur du groupe, disparu en 2015, ndlr] avait insisté pour que le jeu Pokémon GO (développé par Niantic Labs) puisse sortir. Cela a permis de rappeler à de nombreux joueurs la nostalgie de chasser des Pokémon et nous a aidés à vendre nos propres titres Pokémon Soleil et Pokémon Lune, les meilleures sorties de la franchise. La cession de licences fait partie de la stratégie marketing de Nintendo. Evaluez-vous la qualité de ces jeux? Disposez-vous d’un droit de veto s’ils ne répondent pas à vos standards? Shigeru Miyamoto [le père de Mario et Zelda, ndlr] était conseiller dans le développem­ent du jeu Mario+ The Lapins Crétins Kingdom Battle. Nous faisons en sorte que les franchises de Nintendo soient utilisées de manière appropriée et que leur intégrité soit respectée. Mais la sélection se fait aussi en amont, avec la sélection des développeu­rs tiers.

Satoru Iwata avait désigné les smartphone­s comme un grand concurrent de Nintendo. La déclinaiso­n de vos franchises sur téléphone a-t-elle affaibli la console portable 3DS? Même si les smartphone­s sont devenus une part incontourn­able de nos modes de vie, il s'est vendu près de 69 millions de consoles de la famille de la Nintendo 3DS et nous allons lancer notre modèle 2DS XL. Le marché est assez gros et beaucoup de joueurs possèdent deux appareils.

Quels sont les objectifs du service en ligne de la Nintendo Switch? Notre service ne sera pas payant avant 2018. Il est trop tôt pour en parler. Il est pertinent et nécessaire d'avoir des services on line afin de diversifie­r les expérience­s de jeu. Mais l'idée, c'est uniquement de couvrir les coûts d'exploitati­on.

Les développeu­rs indépendan­ts ont boudé la Wii et la Wii U. Des leçons ontelles été tirées dans les contacts avec eux? Nintendo a toujours fait le maximum pour les soutenir et les traiter le mieux possible, même s'il leur a été plus difficile de développer des jeux ou de les adapter sur ces plateforme­s. Avec la Nintendo Switch, nous avons créé un environnem­ent où le développem­ent des jeux est encore plus facile grâce à la compatibil­ité avec des moteurs de jeu comme Unreal et Unity. Il y a actuelleme­nt 300 développeu­rs travaillan­t sur des jeux pour cette console, dont certains depuis la Suisse. Nous leur laissons notamment une place dans nos salons et faisons la promotion de leurs jeux sur notre plateforme e-shop.

Les rumeurs disent que Netflix sera disponible sur Switch. Véridique? A ce stade, ce ne sont que des rumeurs et des spéculatio­ns que nous ne pouvons pas commenter. Des annonces viendront, car la console n'est que dans sa première année.

Nintendo a-t-il été surpris du succès des rééditions des consoles Classic?

Tout le groupe l'a été. Nous avons sous-estimé le degré de nostalgie de nos fans autour de la NES Mini, que nous allons rééditer cette année. La production des prochaines consoles Classic sera aussi révisée à la hausse. Les gens qui ont grandi avec ces consoles sont devenus parents mais éprouvent toujours de la nostalgie à l'idée d'être ramenés à leur première console, à laquelle ils jouent avec leurs enfants.

Bernd Fakesch: «Je suis personnell­ement très heureux que Nintendo ait pris la décision d’ouvrir ses licences.» (ARVINPRODU­CTION) «Dans ce milieu, ce sont les jeux qui vous permettent de vendre des consoles. C’est la règle d’or»

Des rééditions seront-elles prévues pour toutes les consoles? Nous n'avons rien à annoncer. Mais Nintendo a toujours travaillé avec son passé. Le nouveau Super Mario: Odyssey fait aussi la part belle au rétrogamin­g avec des phases en 2D.

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