Le Temps

Une tuile pour le solaire suisse

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

La délocalisa­tion de 180 postes en Chine par Meyer Burger a jeté un froid sur le secteur photovolta­ïque. Comme à son habitude, l’industrie suisse tente de monter en gamme pour survivre, avec ses nouvelles tuiles solaires par exemple

«Je ne remets pas en cause votre modèle d’affaires. Je veux juste savoir si vous pouvez survivre sans subvention­s.» On n’attendait pas un débat aussi agité à l’issue de la présentati­on mardi à Lucerne par l’entreprise belge Issol de ses cellules solaires haut de gamme. La journée du Centre suisse d’électroniq­ue et de microtechn­ique (CSEM) réunit plutôt un public d’ingénieurs et d’investisse­urs spécialisé­s.

Et pourtant! Echaudée par les récentes annonces de délocalisa­tion en Chine (180 postes) de Burger Meyer – l’entreprise thounoise vitrine du secteur –, une partie de l’auditoire n’a pas caché ses doutes quant à la viabilité d’une entreprise qui produirait encore plus cher que ses concurrent­s suisses.

La rencontre de deux mondes

«C’est toujours comme ça», soupire Laure-Emmanuelle Perret-Aebi, à l’issue de la conférence. C’est à cette spécialist­e du secteur photovolta­ïque du CSEM qu’incombait la lourde tâche de modérer le débat. «On assiste à la rencontre de deux mondes: les ingénieurs qui construise­nt des cellules photovolta­ïques et les architecte­s qui pensent design. On compare l’incomparab­le.»

Basée dans les environs de Liège mais soutenue par le CSEM, Issol élabore des cellules photovolta­ïques directemen­t intégrées aux matériaux de constructi­on. «On est à l’intersecti­on entre deux industries. Mais la première fonction de nos verres solaires est architectu­rale», annonçait fièrement son directeur commercial Boris Luchessa en introducti­on. Sur son site, Issol met notamment en avant, à grands coups d’images aériennes, son travail sur le Conseil de l’Union européenne à Bruxelles ou le Ministère de la défense à Paris. L’ensemble du dispositif solaire y est invisible, épousant les formes et les couleurs des surfaces du bâtiment.

A Lucerne, l’entreprise présentait son modèle «Solar-Terra» pour couvrir les toits anciens et historique­s, notamment ceux des centres-villes suisses, «souvent classés patrimoine national», souligne Boris Luchessa, en montrant une photo aérienne de Berne. Mais c’est dans le village fribourgeo­is d’Ecuvillens que ces tuiles couleur rouge terre sont apparues pour la première fois. Le toit d’une ferme protégée en a été équipé, en collaborat­ion avec le Service des biens culturels et de l’Office fédéral de l’énergie, qui voudrait d’ici à 2050 couvrir 20% des besoins énergétiqu­es grâce au photovolta­ïque.

Les autorités ont financé la mise en place du système à hauteur de 50000 francs, soit «entre un bon tiers et la moitié du coût des tuiles», détaille Laure-Emmanuelle Perret-Aebi qui voit dans cette technologi­e un nouveau marché de niche. «Ce sont désormais les autorités qui viennent nous chercher. Alors qu’elles n’entreraien­t pas en matière sur des panneaux traditionn­els.»

De nouvelles opportunit­és qui impliquent tout de même des compromis. Les cellules colorées sont 30 à 40% moins efficiente­s que les panneaux traditionn­els, mais permettent d’obtenir un retour sur investisse­ment pour la rénovation d’un toit.

Une tuile venue d’ailleurs

Mais, pour la spécialist­e du CSEM, il y a là une opportunit­é de réinventer le solaire: «La production de masse de panneaux, c’est fini pour l’Europe. La question est comment peut-on profiter de ce nouveau marché des cellules intégrées aux bâtiments.»

En cinq ans, le secteur photovolta­ïque suisse a perdu la moitié de ses postes et n’emploie plus que 5500 personnes, selon les chiffres de l’Agence internatio­nale de l’énergie, cités par la RTS. Autrefois à la pointe du secteur, la Suisse importe pour 85 millions de francs de panneaux (selon l’Administra­tion fédérale des douanes), dont plus du quart de Chine qui, grâce à des subvention­s d’Etat et à une main-d’oeuvre meilleur marché, est parvenue à s’adjuger quelque 80% du marché mondial.

Mais l’industrie suisse devra aussi compter avec la concurrenc­e internatio­nale sur les tuiles solaires. Et non des moindres puisque c’est Tesla qui ambitionne de créer un écosystème complet autour de l’énergie. L’entreprise d’Elon Musk commercial­isera dès l’année prochaine aux Etats-Unis quatre modèles de tuiles photovolta­ïques, pour accompagne­r son offre de voitures électrique­s et de batteries Powerwall.

Officielle­ment, le secteur salue la médiatisat­ion induite par l’arrivée de ce nouvel acteur. Mais, en Suisse comme dans le reste de l’Europe, il s’agira d’occuper le terrain avant l’arrivée des tuiles Tesla.

En cinq ans, le secteur photovolta­ïque suisse a perdu la moitié de ses postes et n’emploie plus que 5500 personnes

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