Une tuile pour le solaire suisse
La délocalisation de 180 postes en Chine par Meyer Burger a jeté un froid sur le secteur photovoltaïque. Comme à son habitude, l’industrie suisse tente de monter en gamme pour survivre, avec ses nouvelles tuiles solaires par exemple
«Je ne remets pas en cause votre modèle d’affaires. Je veux juste savoir si vous pouvez survivre sans subventions.» On n’attendait pas un débat aussi agité à l’issue de la présentation mardi à Lucerne par l’entreprise belge Issol de ses cellules solaires haut de gamme. La journée du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) réunit plutôt un public d’ingénieurs et d’investisseurs spécialisés.
Et pourtant! Echaudée par les récentes annonces de délocalisation en Chine (180 postes) de Burger Meyer – l’entreprise thounoise vitrine du secteur –, une partie de l’auditoire n’a pas caché ses doutes quant à la viabilité d’une entreprise qui produirait encore plus cher que ses concurrents suisses.
La rencontre de deux mondes
«C’est toujours comme ça», soupire Laure-Emmanuelle Perret-Aebi, à l’issue de la conférence. C’est à cette spécialiste du secteur photovoltaïque du CSEM qu’incombait la lourde tâche de modérer le débat. «On assiste à la rencontre de deux mondes: les ingénieurs qui construisent des cellules photovoltaïques et les architectes qui pensent design. On compare l’incomparable.»
Basée dans les environs de Liège mais soutenue par le CSEM, Issol élabore des cellules photovoltaïques directement intégrées aux matériaux de construction. «On est à l’intersection entre deux industries. Mais la première fonction de nos verres solaires est architecturale», annonçait fièrement son directeur commercial Boris Luchessa en introduction. Sur son site, Issol met notamment en avant, à grands coups d’images aériennes, son travail sur le Conseil de l’Union européenne à Bruxelles ou le Ministère de la défense à Paris. L’ensemble du dispositif solaire y est invisible, épousant les formes et les couleurs des surfaces du bâtiment.
A Lucerne, l’entreprise présentait son modèle «Solar-Terra» pour couvrir les toits anciens et historiques, notamment ceux des centres-villes suisses, «souvent classés patrimoine national», souligne Boris Luchessa, en montrant une photo aérienne de Berne. Mais c’est dans le village fribourgeois d’Ecuvillens que ces tuiles couleur rouge terre sont apparues pour la première fois. Le toit d’une ferme protégée en a été équipé, en collaboration avec le Service des biens culturels et de l’Office fédéral de l’énergie, qui voudrait d’ici à 2050 couvrir 20% des besoins énergétiques grâce au photovoltaïque.
Les autorités ont financé la mise en place du système à hauteur de 50000 francs, soit «entre un bon tiers et la moitié du coût des tuiles», détaille Laure-Emmanuelle Perret-Aebi qui voit dans cette technologie un nouveau marché de niche. «Ce sont désormais les autorités qui viennent nous chercher. Alors qu’elles n’entreraient pas en matière sur des panneaux traditionnels.»
De nouvelles opportunités qui impliquent tout de même des compromis. Les cellules colorées sont 30 à 40% moins efficientes que les panneaux traditionnels, mais permettent d’obtenir un retour sur investissement pour la rénovation d’un toit.
Une tuile venue d’ailleurs
Mais, pour la spécialiste du CSEM, il y a là une opportunité de réinventer le solaire: «La production de masse de panneaux, c’est fini pour l’Europe. La question est comment peut-on profiter de ce nouveau marché des cellules intégrées aux bâtiments.»
En cinq ans, le secteur photovoltaïque suisse a perdu la moitié de ses postes et n’emploie plus que 5500 personnes, selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie, cités par la RTS. Autrefois à la pointe du secteur, la Suisse importe pour 85 millions de francs de panneaux (selon l’Administration fédérale des douanes), dont plus du quart de Chine qui, grâce à des subventions d’Etat et à une main-d’oeuvre meilleur marché, est parvenue à s’adjuger quelque 80% du marché mondial.
Mais l’industrie suisse devra aussi compter avec la concurrence internationale sur les tuiles solaires. Et non des moindres puisque c’est Tesla qui ambitionne de créer un écosystème complet autour de l’énergie. L’entreprise d’Elon Musk commercialisera dès l’année prochaine aux Etats-Unis quatre modèles de tuiles photovoltaïques, pour accompagner son offre de voitures électriques et de batteries Powerwall.
Officiellement, le secteur salue la médiatisation induite par l’arrivée de ce nouvel acteur. Mais, en Suisse comme dans le reste de l’Europe, il s’agira d’occuper le terrain avant l’arrivée des tuiles Tesla.
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En cinq ans, le secteur photovoltaïque suisse a perdu la moitié de ses postes et n’emploie plus que 5500 personnes