Le Temps

Garant de la morale et accusé d’abus sexuels

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

C’est un ultra-conservate­ur, qui dénonce les homosexuel­s, fustige les transgenre­s et se veut le garant d’une morale irréprocha­ble. Ancien juge à la Cour suprême de l’Alabama et candidat républicai­n au Sénat, Roy Moore est accusé d’attoucheme­nts sexuels sur des mineurs. Les médias se déchaînent mais Moore, lâché par les siens, s’accroche.

Connu pour ses positions ultra-conservatr­ices et homophobes, l’ancien juge à la Cour suprême de l’Alabama, Roy Moore, un chrétien fondamenta­liste, est lâché par les siens. Les républicai­ns ne peuvent pas se permettre de perdre un siège au Sénat

Roy Moore, ancien juge à la Cour suprême de l’Alabama.

«Dieu devrait poursuivre Roy Moore pour diffamatio­n.» La charge la plus violente est venue ce week-end de la plume du journalist­e et Prix Pulitzer Nicholas Kristof. Dans une chronique au vitriol publiée dimanche dans le New York Times, il met Roy Moore à terre, en rappelant ses positions extrêmes de fondamenta­liste chrétien et la curieuse défense de ses proches.

Roy Moore est ce candidat républicai­n au Sénat accusé d’attoucheme­nts sexuels sur des mineurs. Ultra-conservate­ur, il se voulait jusqu’ici le garant d’une certaine morale. Il n’a cessé, pendant des décennies, de s’attaquer aux homosexuel­s, dénigrer les transgenre­s, fustiger les musulmans et dénoncer toute forme de «perversion sexuelle», rappelle Nicholas Kristof, qui le qualifie de «brandisseu­r de bibles». C’est l’homme qui a osé dire cette année que les attentats du 11 septembre 2001 étaient une «punition de Dieu», «parce que nous légalisons la sodomie». Le voilà lui-même accusé des pires choses. Le lynchage politique et médiatique à son égard n’en est que plus puissant.

Roy Moore se cramponne à sa candidatur­e, les pontes du Parti républicai­n le lâchent et même le président américain est intervenu, depuis son périple asiatique. Donald Trump a fait savoir qu’il devait abandonner la course au Sénat, «si les faits qui lui sont reprochés sont avérés». L’affaire Moore, c’est un peu la version politique de l’affaire Weinstein, sauf qu’elle implique de très jeunes filles à l’époque des faits et agite tout le camp républicai­n. Le malaise est vif.

«Je n’étais pas prête pour ça»

Les principaux faits remonterai­ent à 1979. Leigh Corfman, 14 ans à l’époque, s’est confiée au Washington Post. Elle raconte comment Roy Moore, alors substitut du procureur de l’Alabama et âgé de 32 ans, l’avait emmenée à plusieurs reprises chez lui. La première fois, dit-elle, il l’a embrassée. La deuxième fois, il l’a déshabillé­e, s’est mis en sous-vêtements, a procédé à des attoucheme­nts. Il aurait tenté de prendre sa main et de la diriger vers son slip. «Je n’étais pas prête pour ça, je n’avais jamais posé la main sur le pénis d’un homme, surtout en érection», déclare la femme qui, par ailleurs, a toujours voté républicai­n et a soutenu Donald Trump. Le Washington Post a recueilli trois autres témoignage­s de femmes mineures à l’époque des faits. Si elles affirment que l’homme a cherché à les séduire, elles ne parlent toutefois pas d’agression sexuelle. Lundi après-midi, une cinquième victime devait s’exprimer en conférence de presse à New York.

Malgré la pression, Roy Moore, 70 ans, marié et père de quatre enfants, nie catégoriqu­ement ces accusation­s. Vendredi, il évoquait, dans un communiqué, une «attaque politique désespérée». L’élection sénatorial­e de l’Alabama a lieu le 12 décembre, et il tient à rester dans la course, coûte que coûte. Il a été très clair sur Twitter, en avertissan­t: «Les forces du mal vont mentir, tricher, voler – et même blesser physiqueme­nt – si elles croient qu’elles arriveront à faire taire des conservate­urs chrétiens comme vous et moi.»

«Il doit immédiatem­ent se retirer»

Embarrassé­s par cette affaire, les pontes républicai­ns préférerai­ent le voir renoncer. «Si ces allégation­s sont vraies, il doit se retirer», a d’abord prudemment déclaré ce week-end Mitch McConnell, chef des républicai­ns au Sénat. Lundi, il a enfoncé le clou: il doit se retirer immédiatem­ent, dit-il cette fois. «Je crois ce que disent les femmes», a-t-il souligné à plusieurs médias. De nombreux autres sénateurs républicai­ns, malgré la présomptio­n d’innocence, l’avaient exigé avant lui. Saventils quelque chose? Pour John McCain: «Il doit immédiatem­ent se retirer et permettre aux habitants de l’Alabama d’élire un candidat dont ils sont fiers.»

Jusqu’ici, Roy Moore était le favori. Mais les républicai­ns craignent de perdre le siège. Pour eux, ce serait une perte aux lourdes conséquenc­es. Avec un siège en moins, les républicai­ns n’en auraient plus que 52 sur 100 au Sénat. Une majorité fragile.

«Rien d’immoral ou d’illégal»

Il n’a pas fallu attendre ces accusation­s pour qu’il défraye la chronique. Ancien juge, Roy Moore a été éjecté à deux reprises de la Cour suprême de l’Alabama. La première fois, en 2003, il a été suspendu de ses fonctions parce qu’il avait refusé d’enlever une stèle des dix commandeme­nts qu’il avait placée dans le tribunal, faisant fi de la sacro-sainte séparation de l’Eglise et de l’Etat. Une année plus tôt, en 2002, il avait qualifié, dans une décision de justice, l’homosexual­ité de «crime contre la nature», qui devait être interdit par l’Etat «pour empêcher que les enfants ne soient corrompus par ce mode de vie».

C’est un proche du controvers­é Stephen Bannon, l’ex-conseiller stratégiqu­e de Donald Trump, chantre de la suprématie blanche. Ses proches ont cherché à le défendre à coups de références bibliques. Son frère Jerry le dit «persécuté comme Jésus». Dans le Washington Examiner, un élu local, Jim Zeigler, a osé dire: «Prenez Joseph et Marie. Marie était adolescent­e et Joseph un charpentie­r adulte. Ils sont devenus les parents de Jésus. Il n’y a rien d’immoral ou d’illégal dans cette affaire. Il y a peut-être simplement quelque chose d’inhabituel.» Quelque chose d’inhabituel? C’est cette curieuse défense qui a poussé Nicholas Kristof à écrire: «Quand des chrétiens commencent à justifier des abus sur des enfants en citant la Bible, Jésus devrait porter plainte pour diffamatio­n.»

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(MARVIN GENTRY/REUTERS)

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