Le Temps

Trump et Duterte, «bad boys» complices

Bien loin de leur réputation explosive respective, le premier tête-à-tête entre les deux dirigeants a évité les injures de «bad boys». Balade à l’eau de rose en prime pour le spectacle, en l’absence d’un débat sur les droits de l’homme

- MARIANNE DARDARD, MANILLE @mdardard

Ils sont souvent comparés l’un à l’autre, deux populistes au sommet qui ont forgé leur célébrité mondiale à coups d’invectives. A ce titre, la rencontre entre Donald Trump et le Philippin Rodrigo Duterte était annoncée comme le moment phare du sommet de l’Associatio­n des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) qui se tient jusqu’à ce soir à Manille, étape finale de la tournée asiatique du président des Etats-Unis.

La même semaine où il s’est vanté d’avoir, durant son adolescenc­e, poignardé à mort quelqu’un, le chef d’Etat philippin, accusé par les Nations unies, mais également par le Congrès américain et l’Union européenne, de promouvoir dans sa guerre antidrogue les tueries extrajudic­iaires, avait fanfaronné en assurant que le président des Etats-Unis ne discuterai­t pas des droits de l’homme. Et c’est exactement ce qui s’est passé, ou presque.

Les droits de l’homme évoqués brièvement

«Les droits de l’homme ont été brièvement mentionnés dans le cadre de la campagne gouverneme­ntale philippine contre le narcotrafi­c», a assuré aux médias américains, sans détailler, Sarah Sanders, porte-parole de la Maison-Blanche. «Il n’a été question ni des droits de l’homme ni des tueries extrajudic­iaires», a contredit Harry Roque, porte-parole de Malacañan, le palais présidenti­el philippin. «D’après le langage corporel du président américain, ce dernier avait l’air plutôt d’accord. A plusieurs reprises, il a acquiescé tandis que le président philippin lui expliquait sa guerre.»

Pour les défenseurs des droits de l’homme et les manifestan­ts attroupés près du lieu de la rencontre, le silence présidenti­el américain revient à cautionner les tueries extrajudic­iaires, entre 7000 et 12000 selon les estimation­s. En mai, Donald Trump avait déjà personnell­ement félicité Rodrigo Duterte pour ses «incroyable­s efforts pour éradiquer le narcotrafi­c».

Depuis leur première entrevue physique la semaine passée au Vietnam, en marge du sommet Asie-Pacifique, Donald Trump et Rodrigo Duterte se sont livrés à un échange jugé attendriss­ant, par contraste avec leurs sorties les plus vulgaires. «Nous avons une relation formidable. Le sommet de l’Asean est géré à merveille par le président des Philippine­s. J’apprécie vraiment d’être là», s’est ébahi en préambule du tête-à-tête le président des EtatsUnis, visiblemen­t inspiré par la «météo toujours bonne» au pays des typhons: «Aujourd’hui, il fait plutôt beau. Une chose à propos des Philippine­s, c’est que les choses finissent toujours par s’améliorer.»

On se retrouve à mille lieues des insultes («fils de pute», sic) proférées par Rodrigo Duterte à l’égard du précédent président américain Barack Obama, auquel le duo Trump-Duterte voue un désamour commun. De quoi évoquer une «bromance», dans un style plus «mauvais garçon» que l’amitié façon «gendre idéal» affichée par le tandem Emmanuel Macron-Justin Trudeau au G7.

«Nous avons une relation formidable. Le sommet de l’Asean est géré à merveille par le président des Philippine­s» DONALD TRUMP Donald Trump et Rodrigo Duterte au dîner de gala du 50e anniversai­re de l’Asean.

Oubliées, les sorties vulgaires

A Manille, Donald Trump et Rodrigo Duterte ont troqué leurs injures de «bad boys» contre une sérénade. Lors du gala d’ouverture du sommet de l’Asean dimanche, le président philippin a «exhibé au monde entier sa facette la plus charmante», rapporte le site d’informatio­ns local Rappler, pas spécialeme­nt jugé proche du pouvoir. Grand fan de karaoké comme beaucoup de ses concitoyen­s, le président hôte est allé jusqu’à jouer les crooners devant Donald Trump, en chantant, à sa demande expresse, une ballade pop philippine à l’eau de rose. «Tu es l’amour que j’ai attendu toute ma vie»: voilà la traduction de l’un des couplets entonnés par Rodrigo Duterte, devant le parterre de la vingtaine de chefs d’Etat invités, trop diplomates pour critiquer ouvertemen­t la performanc­e présidenti­elle.

Au-delà de la mise en scène, ce rapprochem­ent témoigne d’une relation de nouveau au beau fixe entre les Etats-Unis et leur ancienne colonie. Président d’un pays où le divorce est interdit, Rodrigo Duterte avait même menacé jadis de se «séparer des Etats-Unis», allant jusqu’à réclamer aux Américains de rendre aux Philippine­s d’anciennes cloches d’église emportées par les GI en guise de trophées de guerre. Malgré ses attaques, le président philippin n’a jamais mis ses menaces à exécution.

Grand fan de karaoké, le président hôte est allé jusqu’à jouer les crooners devant Donald Trump

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(JONATHAN ERNST/REUTERS)

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