Le Temps

Une nouvelle étape pour l’Europe de la défense

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

Les ministres européens ont décidé hier de mettre en commun des ressources pour financer et développer des projets militaires, notamment sur les terrains étrangers. Vingt-trois pays membres ont accepté de suivre le mouvement. Pas forcément un gage d’efficacité, craignent déjà certains observateu­rs

Elle aurait pu prendre corps dès 2009 avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, mais le contexte ne s’y prêtait sans doute pas encore. Ce n’est finalement qu’hier, huit ans plus tard et dans un environnem­ent mondial marqué tant par Donald Trump que par la menace terroriste ou le Brexit, que la défense européenne a été remise sur le devant de la scène.

Federica Mogherini qualifie la journée d’«historique» et salue le fait qu’un «tabou» soit tombé

Encore incapables de le faire il y a un an, les ministres européens de la Défense se sont en effet accordés lundi sur une «Coopératio­n structurée permanente» en matière de défense (CSP). Une coopératio­n qui leur permettra de mettre en commun des ressources pour travailler sur une série de projets concrets comme la constructi­on de drones, voire sur des projets d’interventi­ons extérieure­s.

Cette CSP, ou Permanent Structured Cooperatio­n (Pesco) en anglais, 23 Etats membres vont y prendre part, de la France à l’Allemagne et l’Espagne, principaux moteurs de cette initiative avec l’Italie, en passant par le Benelux, les Etats baltes ou la Pologne, qui a également consenti à suivre le mouvement.

Seuls le Royaume-Uni – parce qu’il va bientôt quitter le club européen – ainsi que l’Irlande, Malte, le Portugal et le Danemark – qui ne peut s’y associer en raison de son statut juridique – ont choisi de rester à l’écart. Du moins à ce stade. Lisbonne et Dublin devraient ultérieure­ment rejoindre la CSP.

Concrèteme­nt, les pays participan­ts ont approuvé une vingtaine d’engagement­s dans des domaines comme l’investisse­ment, le développem­ent des capacités, la contributi­on opérationn­elle ou l’identifica­tion des besoins. Ils se sont aussi donné quelques objectifs, comme consacrer 20% des dépenses de défense à l’investisse­ment et 2% à la recherche. Et se sont engagés à augmenter régulièrem­ent leurs budgets annuels de défense. La décision formelle d’établir la CSP sera prise en décembre.

L’effort a en tout cas été jugé suffisamme­nt important pour que la haute représenta­nte de l’UE pour les Affaires étrangères, l’Italienne Federica Mogherini, qualifie la journée d’«historique» et salue le fait qu’un «tabou» soit tombé, cela alors que les Etats membres protègent jalousemen­t depuis soixante ans leur souveraine­té en matière de défense.

La ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, a elle aussi qualifié ce jour d’historique, alors que Jens Stoltenber­g, le secrétaire général de l’OTAN, a salué une étape qui rendra l’Europe de la défense plus forte et dotée de nouvelles capacités, sans concurrenc­er l’Alliance.

Coquille vide?

Mais tout le monde n’est pas de cet avis. Pour certains experts, la CSP à 23 risque en effet de devenir une coquille vide, en partie parce que l’unanimité restera la règle sur la liste des projets à identifier et qu’un groupe plus restreint de pays aurait eu plus de facilité à se mettre d’accord sur les projets sensibles. Si le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a vu hier «un moment fort» pour le renforceme­nt de l’Europe de la défense, Paris aurait préféré s’en tenir à un groupe de pays capables de le suivre sur des projets sensibles, contrairem­ent à Berlin, dont le souci premier était de ne pas diviser les pays entre eux.

Pour Frédéric Mauro, avocat à Bruxelles et expert des questions de défense, c’est en tout cas une occasion manquée. Il déplore le fait que les engagement­s chiffrés relèvent d’un effort collectif et non individuel et qu’aucun engagement fixe ne soit donné pour les hausses des budgets nationaux. Et redoute que cette CSP ne puisse pas permettre de créer des «frégates ou des avions européens de combat ni d’envoyer une force expédition­naire» à l’étranger.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland