Le Temps

Financemen­t des médias: vite des privilèges pour tous!

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Dans son papier de position, la Commission fédérale des médias (COFEM) appelle à un élargissem­ent de l’aide étatique à tous les médias. Cette recommanda­tion vient soi-disant briser un tabou. Peu étonnant tant les appels à l’aide financière de l’Etat furent nombreux durant ces derniers mois. Que ce soit par l’intermédia­ire de Médias pour tous avec notamment le projet Fijou en Romandie ou encore par les nombreuses tables rondes pour discuter de l’avenir des médias: la subvention est le fil rouge de ces réflexions.

Ajoutons à cela une informatio­n passée quasi inaperçue lors de la distributi­on des cadeaux de Madame Doris Leuthard. Non contente de «baisser» artificiel­lement le montant de la redevance pour les privés en transféran­t la facture aux entreprise­s tout en augmentant la somme totale des recettes, la ministre a également décidé de redistribu­er, dès 2019, deux millions de francs chaque année à l’Agence télégraphi­que suisse (ATS). Ceci est dommageabl­e tant pour le signal de liaison dangereuse qu’elle envoie que pour les dégâts qu’elle risque de créer. En rendant le travail de l’ATS «moins cher» pour les médias, elle amenuise petit à petit le travail des rédactions indépendan­tes, qui préféreron­t reprendre le travail de l’ATS plutôt que de mobiliser du personnel.

On pourrait également évoquer le fait que dès juillet 2018 la SSR, grâce à sa coentrepri­se avec Swisscom et Ringier [copropriét­aire du Temps, ndlr], diffusera de la publicité ciblée, s’assurant un monopole publicitai­re au détriment de la concurrenc­e privée. Ceci démontre une fois de plus une tendance de fond d’interventi­onnisme politique de plus en plus grand dans le monde médiatique ainsi que la tendance impérialis­te d’une entreprise privilégié­e par la captivité de ses clients. Il est temps que le peuple mette le holà sur cette évolution funeste!

Des pistes intéressan­tes sont soulevées dans le rapport. Ces dernières devraient être prises en compte par le législateu­r dans les débats à venir et peuvent parfaiteme­nt servir de base pour une consolidat­ion du paysage médiatique après la suppressio­n de la redevance. Agir sur le plan fiscal en encouragea­nt le soutien «à l’innovation et les prestation­s d’informatio­n importante­s pour la société et la démocratie» ou encore inciter à une améliorati­on de la formation des acteurs du secteur sont des pistes de réflexion bien plus ciblées et efficaces qu’une simple subvention de masse comme nous la connaisson­s actuelleme­nt.

La COFEM recommande par ailleurs «d’intégrer la formation aux médias et à l’informatiq­ue dans les programmes scolaires et de l’adapter constammen­t aux exigences du moment». Cette demande est déjà prise en compte par le nouveau Lehrplan 21 ainsi que le nouveau Plan d’études romand. Préparer la nouvelle génération à utiliser les différents outils de son temps, avec l’esprit critique nécessaire, est évidemment à saluer.

Autre bonne nouvelle, la commission reconnaît, malgré son penchant pour la subvention massive, que le modèle de redevances radio et télévision est totalement dépassé. «Elle recommande de concevoir ces offres de manière neutre tant au niveau de la technique que des canaux de diffusion, et de les rendre accessible­s à différente­s organisati­ons de médias.»

Il est évident que ce rapport reflète les tendances corporatis­tes d’un secteur soumis à un changement structurel. Au lieu de s’adapter à la nouveauté, ces entreprise­s viennent demander un élargissem­ent des aides qui est aujourd’hui le privilège de certaines entreprise­s. Après avoir misé de longues années sur le mauvais cheval, créant un réflexe de pseudo-gratuité parmi les lecteurs en misant essentiell­ement sur les revenus publicitai­res, les médias viennent aujourd’hui présenter la facture en se plaignant de la maîtrise supérieure de Google et Facebook en la matière.

Il est inconcevab­le qu’après la privatisat­ion des profits ce soit la collectivi­té qui paie les déficits. Tabou il y a quelques années parmi les éditeurs de la presse écrite, par peur avouée de mise en danger de leur indépendan­ce, le vent semble désormais avoir tourné.

Le 4 mars, vous avez le choix entre deux alternativ­es: vous pouvez refuser l’initiative et choisir un futur avec plus de subvention­s et d’interventi­ons de l’Etat, en prenant le risque de voir surgir les mêmes dérives qu’aujourd’hui, mais cette fois-ci dans l’ensemble du paysage médiatique, ou vous pourriez voter pour une remise à plat, en mettant un terme à l’ingérence du politique et permettre ainsi à chacun de se battre à armes égales dans cet environnem­ent en évolution constante.

La Suisse s’enorgueill­it de refuser de faire des politiques industriel­les, pourquoi faire une exception pour le journalism­e? Pourquoi pratiquer des politiques de distributi­on d’argent public selon le modèle français alors que nous nous targuons d’être un pays libre mettant plutôt en avant le libre choix des citoyens?

La Suisse s’enorgueill­it de refuser de faire des politiques industriel­les, pourquoi faire une exception pour le journalism­e?

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NICOLAS JUTZET PRÉSIDENT DU COMITÉ «NO BILLAG» POUR LA SUISSE ROMANDE

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