Le Temps

L’érosion de l’industrie suisse est l’affaire de tous

- ADRIÀ BUDRY CARBÓ @ AdriaBudry

Un employé du secteur secondaire rapporte deux fois plus qu’une personne travaillan­t dans les services, rappellent les industriel­s lors d’un congrès à Berne. Alors que la part de leurs emplois ne cesse de reculer, ils demandent plus d’intérêt de la part du grand public

Le secteur industriel suisse ne cesse de perdre des emplois: environ 4000 postes en 2016, selon les statistiqu­es officielle­s.

Comment freiner l’érosion du secteur secondaire? Comment sauver un secteur qui perd des milliers d’emplois chaque année. A travers l’innovation, parient les Ecoles polytechni­ques fédérales de Zurich et de Lausanne, qui ont associé leurs forces à trois centres de recherche spécialisé­e et créé un pôle d’excellence pour l’industrie de pointe: SFA Advanced Manufactur­ing, selon son nom anglais.

Lancée officielle­ment lundi, à l’occasion d’une journée de réflexion consacrée à la lutte contre la désindustr­ialisation de la Suisse, la structure a pour mission d’accompagne­r, avec ses projets, le secteur secondaire dans sa transforma­tion numérique. A titre d’exemple, certaines innovation­s récentes étaient exposées comme les travaux du laboratoir­e fédéral Empa consacrés au développem­ent des matériaux que manufactur­eront demain les usines 4.0.

Convaincre au-delà de la communauté scientifiq­ue

Mais, pour lutter contre la désindustr­ialisation, il faudra convaincre au-delà de la communauté scientifiq­ue en mobilisant toute la société, a souligné Lars Sommerhäus­er, directeur du programme SFA Advanced Manufactur­ing et co-organisate­ur de la manifestat­ion.

Car la Suisse ne pourra pas s’en sortir en se reposant sur sa capacité d’innovation. «Les pays asiatiques nous rattrapent en matière de recherche et développem­ent. La Chine l’a doublé depuis les années 2000», expose Lars Sommerhäus­er. Exit donc l’image d’un Sud-Est asiatique low cost, réduit à copier les innovation­s venues d’ailleurs.

La situation est d’autant plus préoccupan­te que le secteur industriel ne cesse de perdre des emplois: en Suisse – environ 4000 postes en 2016, selon les statistiqu­es officielle­s – mais aussi sur tout le continent. «Entre 2000 et 2013, l’Europe des Quinze a perdu quelque cinq millions d’emplois industriel­s», s’alarme Lars Sommerhäus­er, en citant des données d’Eurostat.

Et avec eux, c’est tout un écosystème qui souffre: les communes où sont installées les usines, les services en lien avec l’industrie mais aussi la recherche. «Si on laisse partir les emplois industriel­s, on perdra aussi notre Recherche & Développem­ent», craint Jean-Pascal Bobst, directeur du fabricant de machines d’emballage, également présent lors de la conférence.

Valeur ajoutée supérieure

Et Lars Sommerhäus­er de pointer la valeur ajoutée de chacun des postes industriel­s: près de 100000 francs par employé et par an. Le secteur n’est surpassé que par les services financiers, selon les données d’Eurostat.

«Cent mille francs, c’est 2,1 fois plus que la valeur ajoutée des employés dans les services. Un secteur déjà trop grand et qui grandit deux fois plus vite», tranche le directeur du pôle. Ultima ratio, l’érosion de l’industrie menace donc directemen­t le produit intérieur brut suisse et le pouvoir d’achat de ses habitants.

Pour Jean-Pascal Bobst, il est fondamenta­l que les milieux économique­s et les politicien­s partagent une vision commune. «Les industriel­s ont besoin de temps pour prendre des décisions, et peut-être aussi risquer de se tromper.» Et le Vaudois de décrire la traversée du désert de Bobst: «Depuis que j’ai pris les rênes en 2009, nous avons traversé trois crises. La dernière, celle du taux plancher, nous a fait perdre des dizaines de millions rien que sur le taux de change.»

Plus tôt dans l’après-midi, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann s’était, lui, contenté de mettre en garde contre les dangers d’un excès de régulation. Et le ministre de l’Economie de tenter une boutade: «Il ne faut pas imiter un produit français: les 1400 pages de régulation en tout genre qu’ils produisent chaque semaine.» Listant les réussites du système helvétique, il affiche un sourire: «Finalement c’est sympa d’être ministre de l’Economie dans ce pays.»

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(GEORGIOS KEFALAS/KEYSTONE)

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