L’érosion de l’industrie suisse est l’affaire de tous
Un employé du secteur secondaire rapporte deux fois plus qu’une personne travaillant dans les services, rappellent les industriels lors d’un congrès à Berne. Alors que la part de leurs emplois ne cesse de reculer, ils demandent plus d’intérêt de la part du grand public
Le secteur industriel suisse ne cesse de perdre des emplois: environ 4000 postes en 2016, selon les statistiques officielles.
Comment freiner l’érosion du secteur secondaire? Comment sauver un secteur qui perd des milliers d’emplois chaque année. A travers l’innovation, parient les Ecoles polytechniques fédérales de Zurich et de Lausanne, qui ont associé leurs forces à trois centres de recherche spécialisée et créé un pôle d’excellence pour l’industrie de pointe: SFA Advanced Manufacturing, selon son nom anglais.
Lancée officiellement lundi, à l’occasion d’une journée de réflexion consacrée à la lutte contre la désindustrialisation de la Suisse, la structure a pour mission d’accompagner, avec ses projets, le secteur secondaire dans sa transformation numérique. A titre d’exemple, certaines innovations récentes étaient exposées comme les travaux du laboratoire fédéral Empa consacrés au développement des matériaux que manufactureront demain les usines 4.0.
Convaincre au-delà de la communauté scientifique
Mais, pour lutter contre la désindustrialisation, il faudra convaincre au-delà de la communauté scientifique en mobilisant toute la société, a souligné Lars Sommerhäuser, directeur du programme SFA Advanced Manufacturing et co-organisateur de la manifestation.
Car la Suisse ne pourra pas s’en sortir en se reposant sur sa capacité d’innovation. «Les pays asiatiques nous rattrapent en matière de recherche et développement. La Chine l’a doublé depuis les années 2000», expose Lars Sommerhäuser. Exit donc l’image d’un Sud-Est asiatique low cost, réduit à copier les innovations venues d’ailleurs.
La situation est d’autant plus préoccupante que le secteur industriel ne cesse de perdre des emplois: en Suisse – environ 4000 postes en 2016, selon les statistiques officielles – mais aussi sur tout le continent. «Entre 2000 et 2013, l’Europe des Quinze a perdu quelque cinq millions d’emplois industriels», s’alarme Lars Sommerhäuser, en citant des données d’Eurostat.
Et avec eux, c’est tout un écosystème qui souffre: les communes où sont installées les usines, les services en lien avec l’industrie mais aussi la recherche. «Si on laisse partir les emplois industriels, on perdra aussi notre Recherche & Développement», craint Jean-Pascal Bobst, directeur du fabricant de machines d’emballage, également présent lors de la conférence.
Valeur ajoutée supérieure
Et Lars Sommerhäuser de pointer la valeur ajoutée de chacun des postes industriels: près de 100000 francs par employé et par an. Le secteur n’est surpassé que par les services financiers, selon les données d’Eurostat.
«Cent mille francs, c’est 2,1 fois plus que la valeur ajoutée des employés dans les services. Un secteur déjà trop grand et qui grandit deux fois plus vite», tranche le directeur du pôle. Ultima ratio, l’érosion de l’industrie menace donc directement le produit intérieur brut suisse et le pouvoir d’achat de ses habitants.
Pour Jean-Pascal Bobst, il est fondamental que les milieux économiques et les politiciens partagent une vision commune. «Les industriels ont besoin de temps pour prendre des décisions, et peut-être aussi risquer de se tromper.» Et le Vaudois de décrire la traversée du désert de Bobst: «Depuis que j’ai pris les rênes en 2009, nous avons traversé trois crises. La dernière, celle du taux plancher, nous a fait perdre des dizaines de millions rien que sur le taux de change.»
Plus tôt dans l’après-midi, le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann s’était, lui, contenté de mettre en garde contre les dangers d’un excès de régulation. Et le ministre de l’Economie de tenter une boutade: «Il ne faut pas imiter un produit français: les 1400 pages de régulation en tout genre qu’ils produisent chaque semaine.» Listant les réussites du système helvétique, il affiche un sourire: «Finalement c’est sympa d’être ministre de l’Economie dans ce pays.»
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