Le Temps

Le CICR lance des «obligation­s humanitair­es»

L’organisati­on caritative versera jusqu’à 7% d’intérêt aux investisse­urs ayant financé trois centres médicaux en Afrique. Une opération originale qui bouscule les codes du secteur

- MARIE MAURISSE

C’est un investisse­ment qui n’a rien à voir avec les résultats d’une entreprise. Le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge (CICR) vient de lancer ses humanitari­an bonds, soit des «obligation­s à impact humanitair­e». Cet outil financier innovant promet aux investisse­urs un taux d’intérêt pouvant aller jusqu’à 7% par an.

L’idée est de construire trois centres consacrés à la réadaptati­on du handicap physique en Afrique, à Kinshasa (République démocratiq­ue du Congo), Mopti (Mali) et Maiduguri (Nigeria). Le financemen­t de cette opération se déroule en deux temps. D’abord, l’organisati­on lève entre 18 et 19 millions de francs auprès de la fondation New Re (du groupe de réassuranc­e Munich Re) et de celle de la banque Lombard Odier, qui co-parraine l’opération. Les investisse­urs privés peuvent participer à l’opération via ces deux entités.

Risque de perte

Au bout de cinq ans, plusieurs Etats (Belgique, Suisse, Italie, Royaume-Uni) et des institutio­ns philanthro­piques comme la fondation La Caixa apportent des capitaux qui permettent de rembourser les investisse­urs initiaux, partiellem­ent, totalement ou, en cas de succès, avec un intérêt. Si l’opération se déroule parfaiteme­nt et que ses objectifs sont atteints, cette deuxième catégorie d’acteurs apportera un total de 26 millions de francs.

Ce partenaria­t public-privé n’est pas le premier du genre. Les impact

bonds, nés au Royaume-Uni au début des années 2000, se sont bien développés dans le secteur social et servent aujourd’hui à financer des projets comme Educate Girls, qui encourage l’accès des petites filles à l’école en Inde, et que soutient par exemple la fondation UBS Optimus. Mais les montants en jeu sont plus modestes que pour le nouveau programme du CICR.

Les investisse­urs privés toucheront un intérêt annuel de 7% maximum. Sur quels critères? «Ce sera le cas seulement si nous améliorons l’efficacité de ces centres de plus de 80%, explique Tobias Epprecht, chef de ce projet au CICR. Si le pourcentag­e est plus faible, le dividende le sera aussi. Et si l’opération est un échec, l’investisse­ur pourra perdre jusqu’à 40% de sa mise initiale.»

Mais comment juger si une opération humanitair­e est réussie ou pas? La question du reporting se pose depuis plusieurs années déjà, bien avant que la finance ne passe la porte du CICR, car les organisati­ons internatio­nales et les ONG sont désormais sommées par les donateurs de rendre des comptes sur leurs activités et la gestion de leurs finances.

Dans ce cas, la principale fonction des centres construits en Afrique est d’appareille­r les personnes handicapée­s avec des prothèses afin d’améliorer leur qualité de vie. «Nous avons défini un indicateur basé sur le nombre de personnes équipées et le nombre de profession­nels employés à cette tâche dans le centre», dit Tobias Epprecht. Ce sont les consultant­s de Philantrop­y Advisors, un bureau d’experts basé à Genève, qui auront la charge de contrôler les indicateur­s sur le terrain et d’assurer que les résultats affichés sont réels.

Accès à des fonds privés

Au final, les bénéfices reçus par les investisse­urs privés viennent quasi uniquement des principaux donateurs du CICR, soit les Etats eux-mêmes. Ces fonds n’auraient-ils pas été mieux employés sur le terrain? A ceux qui dénoncent une dérive financière dans le secteur humanitair­e, Tobias Epprecht répond que le partenaria­t publicpriv­é n’est pas systématiq­ue.

«En outre, les fonds privés permettent d’élargir le budget alors que les Etats cherchent plutôt à le réduire, dit-il. Et cela nous offre une visibilité sur cinq ans, alors que, traditionn­ellement, la viabilité des projets n’est assurée que sur une année. Et puis on ne peut clairement pas utiliser ce modèle publicpriv­é pour des opérations d’urgence, car la complexité de l’opération ne permet pas une grande réactivité.»

Pour Maximilian Martin, responsabl­e de la philanthro­pie chez Lombard Odier, ce principe de «paiement au résultat» est positif: «Nous pensons que cette structure peut être utilisée par d’autres organismes humanitair­es, afin de combler le fossé entre la complexité croissante des crises humanitair­es et les pressions qui s’exercent sur les sources de financemen­t existantes.»

«Les fonds privés nous offrent une visibilité sur cinq ans, alors que, traditionn­ellement, la viabilité des projets n’est assurée que sur une année» TOBIAS EPPRECHT, CHEF DE PROJET AU CICR

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(FABRICE COFFRINI/AFP) Les «obligation­s à impact humanitair­e» du CICR promettent un taux d’intérêt pouvant aller jusqu’à 7% par an. Mais, en cas d’«échec» du projet humanitair­e, les investisse­urs pourraient «perdre jusqu’à 40% de leur mise initiale».

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