La mort tragique de David Poisson met le Cirque blanc en émoi
Seize ans après Régine Cavagnoud, le ski français perd un nouvel athlète lors d’un entraînement. Le décès du Savoyard rappelle les risques encourus par ceux qui s’élancent à plus de 100 km/h sur des pistes enneigées
Le Cirque blanc l’appelait «Kaillou». Un surnom rigolo pour un homme qui l’était aussi – souriant, disponible et sympathique, assurent ceux qui l’ont côtoyé de près depuis ses débuts au plus haut niveau en 2004. Lundi, le skieur français David Poisson est décédé après une chute lors d’un entraînement dans la station canadienne de Nakiska. L’athlète avait pris 146 départs en Coupe du monde pour un podium, et une médaille de bronze en descente aux Mondiaux de Schladming (Autriche) en 2013. L’homme avait 35 ans et laisse un fils, né en mars 2016.
David Poisson est sorti de la piste en bas de parcours, traversant un filet de sécurité et heurtant un arbre. Il serait mort sur le coup. L’avalanche d’émotion s’est rapidement abattue sur le monde des sports d’hiver. Les tweets de ses concurrents dressent le portrait d’un camarade apprécié et d’un skieur respecté. «C’était un homme bon, une bête et un ami», regrette son contemporain américain Steve Nyman. L’équipe de Suisse masculine de vitesse, qui s’entraînait également à Nakiska, a assisté au drame de près. La fédération a publié mardi un communiqué pour s’associer à la douleur de l’équipe française et des proches de David Poisson, en précisant que les athlètes ne feraient pas de déclaration sur le sujet. Ils reçoivent un soutien psychologique.
Cette tragédie rappelle la mort au mauvais souvenir du Cirque blanc. Le dernier décès d’une athlète remonte à 2001, quand Régine Cavagnoud (originaire de Haute-Savoie) avait heurté un entraîneur allemand lors d’un entraînement sur le glacier autrichien du Pitztal. Depuis, deux spécialistes canadiens de ski freestyle – Nick Zoricic et Sarah Burke – ont trouvé la mort en 2012, dans des circonstances bien différentes du ski alpin, qui présente ses dangers propres.
«Le risque, tu l’oublies»
David Poisson est sa douzième victime depuis 1959 et la mort de Toni Mark. De nombreux autres athlètes ont connu des blessures graves qui ont chamboulé leur vie, sans même parler ici des ligaments croisés déchirés si communs dans le milieu. En Suisse, Daniel Albrecht n’est jamais parvenu à retrouver son meilleur niveau après une chute en 2009 à Kitzbühel et trois semaines de coma artificiel. Bien longtemps avant cela, la carrière de Roland Collombin s’était arrêtée net après sa deuxième sortie de piste à Val d’Isère en 1975. Ces deux-là mènent encore une vie normale. Dans son malheur, Silvano Beltrametti a eu moins de chance, sorti paralysé d’un accident en 2001.
Les athlètes connaissent le danger. Ils savent le prix qu’ont payé certains des leurs. Ils vivent avec. «Quand tu es skieur, t’es dans ton truc. Ce mot, la mort, tu ne veux pas en parler, a dit Luc Alphand à L’Equipe après le décès de David Poisson. Le risque, tu l’oublies chaque fois que tu es au départ d’une descente – enfin, tu essaies – sinon ce n’est pas la peine d’y aller.»
Pourtant, l’épreuve reine du ski alpin fonde précisément sa mythologie sur le risque et le panache avec lequel les athlètes le domptent. Les pistes les plus légendaires doivent leur aura à leur difficulté et aux récits enflammés qu’en font les plus grands. «Ce que j’ai ressenti là-haut était plus que de la peur, c’était un effroi total. J’étais tétanisé», dit Jean-Claude Killy de sa première rencontre avec la Streif de Kitzbühel. «La descente implique une importante prise de risque, nous confirmait l’ancien champion valaisan Didier Défago l’hiver dernier. Il y a la haute vitesse et des sauts très impressionnants. Tous les skieurs ne rêvent pas d’exceller dans les épreuves de vitesse, mais elles procurent des sensations extraordinaires quand on peut y toucher, quand on a le courage nécessaire.»
Devant leur télévision, les skieurs du dimanche frissonnent en essayant de mesurer les sensations de telles pointes de vitesse à plus de 100 km/h sur l’échelle de leur propre pratique. Le facteur risque n’en est pourtant pas absent non plus. Sport-loisir par excellence, le ski est l’une des disciplines les plus dangereuses qui soient. Le Bureau de prévention des accidents a dénombré 94 morts sur les pistes suisses entre 2000 et 2014. Sur cette période de quatorze ans, c’est moins qu’en randonnée de montagne (669), en alpinisme (456) ou en parapente (105), mais plus qu’en base-jump (59) ou en course automobile (11). Des disciplines qui comptent certes beaucoup moins d’adeptes.
En F1, un seul mort depuis 1994
Dans le sport professionnel, le ski est loin d’être la discipline au passé le plus noir. Dans l’histoire, 58 cyclistes ont trouvé la mort lors de compétitions officielles. Quarante-quatre pilotes de Championnat du monde automobile des constructeurs ont perdu la vie au volant. Mais depuis 1994 et les décès de Roland Ratzenberger et Ayrton Senna, le décès du Français Jules Bianchi en 2015 est le seul enregistré en Formule 1.
Sur les circuits, la technologie s’améliore et, si le risque demeure, la sécurité se renforce. Malgré tous les efforts des autorités compétentes et le militantisme des athlètes pour que les pistes soient le moins dangereuses possible, le skieur alpin reste un homme seul sur ses lattes, à toute vitesse sur de la neige, et la moindre imprécision peut se payer cash, comme l’expliquait en 2009 à Swiss Info Hans Spring, alors médecin-chef de l’équipe de Suisse masculine de ski: «Cela peut paraître brutal de le dire comme ça, mais il s’agit à chaque fois de fautes techniques du skieur.» Dans la plupart des disciplines, une erreur individuelle peut coûter un but ou une victoire. En ski alpin, le prix est parfois infiniment plus élevé.
▅