«Justice League», le retour conquérant des superhéros
Lorsqu’un extraterrestre attaque la terre, Batman et Wonder Woman recrutent quelques mutants et demi-dieux pour les assister. «Justice League» s’avère plus réussi qu’on ne le craignait
Thor: Ragnarok, encore sur les écrans, est une farce. Justice League, une tragédie. Ce contraste de registres résume l'esthétique des deux écuries de superhéros, Marvel (Disney) et DC Comics (Warner), monopolisant les écrans du monde: la première, pop, flashy, est habile dans le maniement du second degré; la seconde privilégie les ambiances fuligineuses et la grandiloquence.
Des crêpes géants masquent l'Arc de triomphe et le Tower Bridge: la Terre est en deuil, elle pleure son champion, Superman, mort lors d'un combat titanesque contre un démon kryptonien à la fin de Batman v Superman – L’Aube de la justice (2016). La criminalité explose. La bande-son est au diapason de ce désastre, c'est «Everybody Knows» de Leonard Cohen – «Tout le monde sait que le bateau coule, que le capitaine a menti…»
Menace effroyable
Bruce Wayne/Batman (Ben Affleck) et Diana Prince/Wonder Woman (Gal Gadot) ne savent plus où donner de la tête pour faire régner l'ordre et la justice. Or des événements beaucoup plus graves se préparent: à la tête de ses légions damnées qui se nourrissent de la peur, l'infâme Steppenwolf, un Sauron extraterrestre, vient récupérer les trois boîtes mères dont l'énergie lui permettra de ravager définitivement la Terre.
Pour contrer l'effroyable menace, le Dark Knight et la fille de la Reine des Amazones recrutent Flash (Ezra Miller), un chenapan plus rapide que son ombre, Aquaman (Jason Momoa), le patron barbu de l'Atlantide, et Cyborg (Ray Fisher), un garçon augmenté dont les implants issus de la technologie kryptonienne tendent à l'autonomie. Cette Ligue de justice d'Amérique mène une guerre sans merci contre le super-vilain. C'est difficile sans Superman. Hélas! le Man of Steel n'est plus de ce monde…
Dans le match Avengers - Justice League, l'avantage va aux premiers. Pendant que Marvel multiplie les réussites artistiques et commerciales, DC Comics cherche un second souffle. Il y a eu le succès de deux Batman de Tim Burton au début des années 90, le triomphe de la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan dans les années 2000, puis la soupe à la grimace. Relancée en 2013 avec un Man of Steel effroyablement laid, bête et bruyant, suivi d'un Batman v Superman qui ne vaut guère mieux, la geste DC marquait le pas. L'embellie est venue au printemps dernier avec Wonder Woman, qui trouvait le tempo juste et la touche d'ironie sans laquelle les superhéros sombrent dans le ridicule.
Pingouins explosifs
Ce Justice League dont on redoutait l'emphase et le militarisme surprend aussi en bien. Les producteurs ont exigé que le film ne dépasse pas deux heures, ce qui est déjà long compte tenu de l'éprouvante bataille finale engageant des millions de Paradémons, une effervescence de super-pouvoirs, la Batmobile et des dérèglements chthoniens. Par ailleurs, Zack Snyder (300, Watchmen, Sucker Punch et autres objets baroques et fascistoïdes), grand planificateur des offensives DC, a pris ses distances à la suite du décès de sa fille.
Joss Whedon a été appelé à la rescousse pour la postproduction et le tournage de scènes additionnelles. Si l'orfèvre des Avengers préserve l'atmosphère charbonneuse de l'univers DC, il a peut-être contribué à clarifier la pâtée en rajoutant le filet d'humour sans lequel les films de superhéros sont imbouffables. Le majordome de Batman se réfère à l'époque bénie où les principaux soucis consistaient en pingouins explosifs. Un enfant demande à Superman s'il s'est déjà battu avec un hippopotame. Et l'homme chauve-souris révèle son super-pouvoir: il est riche…
Justice League lorgne du côté de Marvel. En insérant deux bonus dans le générique de fin. En établissant des équivalences: en matière de dieux païens, l'Atlante Aquaman et l'amazone Wonder Woman remplacent Thor; Cyborg, avec son armure intelligente, tient le rôle d'Iron Man; Flash est aussi vif que le regretté Quicksilver… Les hordes de Steppenwolf, vomies par un vortex débouchant sur une autre dimension, ont autant la haine que les Chitauri. Quant aux trois boîtes mères, elles renvoient aussi bien aux pierres d'infinité de Marvel qu'aux anneaux de Tolkien. Faute esthétique: l'armure de Barman, naguère métallique et profilée, semble taillée dans le néoprène et, sous sa cagoule caoutchouteuse, l'homme chauve-souris, en mode hipster, ne prend plus la peine de se raser…
«L'espoir est comme une clé de voiture, on le perd facilement, mais il n'est jamais loin», disait Superman le sage. La Terre a retrouvé la foi et l'espérance, la paix est revenue, Lois Lane a séché ses larmes. Bruce Wayne achète un manoir pour y installer une table ronde ou siégeront les membres de la Ligue de justice.
Gadgets high-tech
Ce rêve arthurien clôt un blockbuster intégrant les peurs de l'époque. Derrière la calcination de la Terre promise par Steppenwolf se profile le réchauffement climatique, une réalité dont Aquaman se fiche: «Je ne crains pas l'élévation du niveau des mers.» Quand les choses se gâteront, il n'y aura personne pour sauver le monde avec des gadgets high-tech, des technologies extraterrestres et des sortilèges mythologiques. En plus, Superman est mort…
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Justice League, de Zack Snyder (Etats-Unis, 2017), avec Ben Affleck, Gal Gadot, Jason Momoa, Henry Caville, Ciaran Hinds, Ray Fisher, Ezra Miller, Jesse Eisenberg. 2h01.