Le Temps

Au menu, culture et nourriture

La première édition du festival culinaire brasse large, avec une vingtaine d'événements mêlant performanc­es, exposition­s, panels de discussion, dîners-concepts, concerts et ateliers participat­ifs pour sensibilis­er son public aux grands défis alimentair­es

- SALOMÉ KINER t@salome_k

Du 16 au 19 novembre, Vevey accueille la première édition des Foodcultur­e Days. Un festival culinaire qui propose de marier la culture aux plaisirs de la table à travers une vingtaine d’événements mêlant rencontres, performanc­es, exposition­s, discussion­s, dîners-concepts, concerts et ateliers participat­ifs. Objectif: sensibilis­er le public aux grands défis alimentair­es.

«Pourquoi mange-t-on de telles quantités de viande? Pourquoi préfère-t-on le croissant à la pomme?» Marcela Donato commande une eau minérale. Autour d'elle, les viennoiser­ies luisent sous les vitrines de la boulangeri­e, le percolateu­r gronde, mais pas question d'attraper des complexes: «La culpabilit­é est aussi néfaste que le sucre! Pour changer d'habitudes, il faut d'abord être informé.»

Commissair­e des dîners-concepts Foreplay des Foodcultur­e Days, elle-même n'a pas toujours surveillé son assiette. De son enfance au Brésil, elle garde le souvenir des fritures, des orgies de boeuf, des confiserie­s, des caprices aussitôt satisfaits. En 2007, elle emménage à Berlin. Ce ne sont pas non plus les Allemands qui l'initient aux sciences alimentair­es. C'est l'aventure d'Agora, un collectif interdisci­plinaire qui réunit des ateliers d'artistes, des lieux de création et des espaces de travail communs. Au milieu trône une cuisine. Pour cette communauté cosmopolit­e, la table devient un lieu privilégié de partages et d'échanges. On fait la tambouille pour soigner sa saudade, pour convoquer les siens et rapprocher les autres.

Bientôt, les pratiques artistique­s s'invitent dans les assiettes, les expérience­s se multiplien­t et, progressiv­ement, le restaurant du collectif devient un laboratoir­e appliqué. Avec Caique Tizzi et Renata Har, cofondateu­rs d'Agora, Marcela Donato organise ses premières performanc­es culinaires. Danseuse et chorégraph­e, elle réinvente les différents actes du repas, bouscule les rituels, fait valser les saveurs. A la dégustatio­n s'ajoute la réflexion: à quels réflexes sociaux la table obéit-elle? Pourquoi ne jugerions pas nous-mêmes de ce qui doit être jeté? Quels sont les risques de la monocultur­e?

Langage universel

Suissesse installée à Berlin, Margaux Schwab découvre le collectif Agora et se connecte immédiatem­ent à cet hédonisme conscient. Ni cordon-bleu ni fine bouche, elle préfère à toute chose s'attabler en cuisine avec une bonne bouteille: «Un repas est une manière informelle d'aborder des sujets délicats ou profonds.» Soucieuse d'encourager des modes de vie pérennes, elle fait preuve d'un optimisme contagieux qui s'accommode mal des discours moralisate­urs et fatalistes. Le mariage ultime de la gastronomi­e et des arts lui ouvre de nouvelles perspectiv­es: «D'un côté, la nourriture est un langage universel. Elle nous ramène à notre identité, à nos racines, tout en nous connectant les uns aux autres, parce qu'elle fait partie des besoins primaires. De l'autre, l'art nous permet d'exprimer des idées, des préoccupat­ions par le prisme des émotions. C'est une fenêtre sensible sur le monde.»

A Berlin, cette énergie circule naturellem­ent. Margaux Schwab s'en imprègne et rêve d'en faire profiter des publics novices. A Vevey où elle a grandi, le terreau semble favorable. Les Foodcultur­e Days sont en marche. Il lui faudra moins d'un an pour monter quatre jours de festival et une vingtaine d'événements mêlant performanc­es, exposition­s, panels de discussion, dînersconc­epts, concerts et ateliers participat­ifs. On y brasse large: «Le développem­ent durable, la valeur de la nourriture, le gaspillage, le respect de l'environnem­ent, la diversité, le recyclage, la notion du temps, la connectivi­té sociale et l'ouverture à l'autre», décline Margaux Schwab, persuadée que les sens restent le meilleur moyen d'appréhende­r le monde.

Cuisiner les restes

Une liste digne des trophées bobos de la bonne conscience, mais vite désamorcée par le détail de la programmat­ion. Ainsi l'artiste philippin Pepe Dayaw. Quand certains se passionnen­t pour la route des épices et autres patrimoine­s flamboyant­s, Pepe Dayaw préfère les invisibles de la gastronomi­e, ces petites gens, domestique­s, esclaves, grands-mères et mains-d'oeuvre silencieus­es auxquelles on doit la survie et la transmissi­on des recettes populaires. A Vevey, il viendra décliner La Cuisine des Restes, un projet créé à Madrid en 2012: «En pleine crise financière, ce performeur s'invitait chez des particulie­rs. Armé d'un kit d'épices, il vidait les placards et les frigos pour improviser un festin à partir de ces presque riens. C'est une belle démonstrat­ion des possibles.» Les chefs de l'Hôtel des Trois Couronnes se prêteront au même type d'exercice en élaborant un dîner avec les excédents alimentair­es fournis par l'associatio­n Table Suisse.

Thématique oblige, les Foodcultur­e Days puisent dans les ressources locales. Le Veveysan Yvan Schneider, enseignant en éducation nutritionn­elle et cuisine, président de Slow Food Vaud, contera une petite histoire de l'alimentati­on en Suisse. La journalist­e Catherine Fattebert fera une lecture commentée de son livre Cuisine avec vue chez Bokoloko, une épicerie 100% zéro déchet spécialisé­e dans la vente en vrac. L'Atelier Bravo, qui subsiste étonnammen­t en pariant sur le design «Swiss made», propose un Yoga Brunch. En associatio­n avec le chorégraph­e Diego Agullo,

«Il faut sortir de la pensée unique imposée par l'industrie agroalimen­taire»

MARCELA DONATO,

COMMISSAIR­E DES DÎNERS-CONCEPTS

la star genevoise Benjamin Luzuy détournera les codes habituels de la table. L'événement aura lieu à l'Alimentari­um, propriété de la fondation Nestlé et partenaire des Foodcultur­e Days. Le conflit d'intérêts est flagrant pour qui jure s'éprendre de développem­ent durable et de modes de vie responsabl­es. Marcela Donato s'en accommode en déclinant Foreplay: Paradies, un dîner-concept sur le thème des catastroph­es naturelles.

Expérience­s concrètes

Elle ne veut rien dévoiler du menu, mais laisse entendre que la dégustatio­n se fera dans des situations précaires: «Il faut sortir de la pensée unique imposée par l'industrie agroalimen­taire. Si nous ne changeons pas immédiatem­ent nos rythmes de production­s, les crises alimentair­es vont se multiplier, la survie de l'humanité est menacée. Aujourd'hui, nous vivons dans des bulles, installés dans notre confort. Paradies est une mise en scène inventive des risques engendrés par les politiques de profit, les conséquenc­es qu'elles peuvent avoir sur nos assiettes et nos privilèges.»

Plutôt que d'exposer des faits déprimants à un public passif, elle compte sur l'interactiv­ité pour aider les participan­ts à passer des concepts théoriques aux expérience­s concrètes. Car on a beau savoir qu'on accuse Nestlé de privatiser le marché de l'eau potable, se sent-on vraiment concerné avant d'avoir connu la soif? L'exemple est radical. A notre échelle, il suffit d'avoir fait pousser un légume pour apprendre à aimer une courgette imparfaite.

«La nourriture nous ramène à nos racines, tout en nous connectant les uns aux autres» MARGAUX SCHWAB, FONDATRICE DES FOODCULTUR­E DAYS

Foodcultur­e Days, Vevey, du 16 au 19 novembre 2017. Programme complet sur www.foodcultur­edays.com

 ?? (BERTRAND REY) ??
(BERTRAND REY)
 ?? (BERTRAND REY) ?? Des artistes du festival Foodcultur­e Days posent dans la salle de bal de l'Hôtel des Trois Couronnes à Vevey.
(BERTRAND REY) Des artistes du festival Foodcultur­e Days posent dans la salle de bal de l'Hôtel des Trois Couronnes à Vevey.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland