Le Temps

Des échanges compromett­ants

Sous pression, le fils aîné du président américain a publié ses échanges avec WikiLeaks. Les messages révèlent surtout à quel point le site a manoeuvré pour favoriser l’élection de Donald Trump

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Après les révélation­s du magazine The Atlantic qui ont mis Donald Trump Jr sous pression, le fils aîné du président américain a publié les échanges qu’il a eus avec WikiLeaks. Ils montrent à quel point le site de Julian Assange a manoeuvré pour tenter de favoriser l’élection de Trump.

Pris la main dans le sac? Voilà un nouvel épisode qui donnera du grain à moudre au procureur indépendan­t Robert Mueller, chargé d’enquêter sur l’ingérence russe dans l’élection présidenti­elle américaine et les liens entre Moscou et l’entourage de Trump. Donald Trump Jr, le fils aîné du président américain, a eu des «contacts secrets» avec WikiLeaks, révélait lundi soir le magazine The Atlantic. Ni une, ni deux, il décide quelques heures plus tard de publier luimême ses échanges privés avec l’organisme de Julian Assange. Avant que la presse ne s’en charge.

Donald Trump Jr assure dévoiler l’intégralit­é des messages échangés avec WikiLeaks sur Twitter, entre septembre 2016 et juillet 2017, dont ses «trois réponses spectacula­ires», ironise-t-il. Des messages que ses avocats avaient déjà transmis, avec des centaines d’autres documents, à des commission­s du Congrès. Leur contenu est troublant. Ils révèlent surtout à quel point WikiLeaks a manoeuvré pour affaiblir les chances d’Hillary Clinton d’être élue et favoriser Donald Trump. Qui manipule qui, à la demande de qui et dans quel but? Il y a de quoi s’y perdre. WikiLeaks a publié durant la campagne présidenti­elle des courriels compromett­ants d’Hillary Clinton, obtenus à la suite de piratages de comptes e-mails du parti démocrate. Le Renseignem­ent américain impute ces hackings à la Russie, mais WikiLeaks a toujours nié les avoir obtenus par ce biais.

«Améliorer la perception de notre impartiali­té»

Dans les échanges avec Donald Trump Jr, WikiLeaks suggère notamment que le candidat Trump tweete ses révélation­s sur Hillary Clinton. Plus significat­if, le 21 octobre 2016, quelques jours seulement avant l’élection, l’organisati­on lui demande de faire fuiter deux déclaratio­ns d’impôts de son père. Un stratagème susceptibl­e d’«améliorer énormément la perception de notre impartiali­té», précise l’interlocut­eur. «Cela veut dire que la grande quantité de choses que nous publions sur Clinton aurait un impact bien plus grand car les gens ne les percevront pas comme venant d’une source pro-Trump, pro russe», ajoute-t-il. L’équipe de Trump n’a pas réagi.

Le jour J, pensant visiblemen­t qu’Hillary Clinton l’emporterai­t, WikiLeaks renvoie un nouveau message au fils. Cette fois, il conseille que Donald Trump refuse sa défaite et remette en cause la sincérité du scrutin. Puis, le 16 décembre, WikiLeaks suggère que le président lance l’idée d’une nomination de Julian Assange comme ambassadeu­r d’Australie aux Etats-Unis. «Bien sûr, ils ne le feront pas», écrit la personne avec laquelle échange le fils, «mais cela enverra de bons signaux à l’Australie, au RoyaumeUni et à la Suède pour qu’ils commencent à respecter la loi et cessent de l’ignorer pour se mettre bien avec les Clinton». Pour rappel, Julian Assange est réfugié à l’ambassade d’Equateur au Royaume-Uni depuis 2012 et fait toujours l’objet de poursuites en Suède pour viol. WikiLeaks a été jusqu’à suggérer l’email que Donald Trump pourrait écrire: «C’est un vrai gars solide et intelligen­t, et le plus célèbre Australien que vous ayez!»

Donald Trump Jr n’a répondu que trois fois, et brièvement. Si l’on en croit les échanges publiés, et pour autant qu’il n’y en ait pas d’autres, c’est bien lui qui a été sollicité par WikiLeaks, et non le contraire. A la lumière de ces nouveaux documents, les efforts de WikiLeaks pour favoriser l’élection de Donald Trump ne font plus aucun doute. Si les réponses rares et évasives de Donald Trump Jr sont peu compromett­antes, ces échanges mettent par contre en exergue des contacts directs avec WikiLeaks. Ce que l’équipe de Trump a toujours cherché à démentir. Publiqueme­nt, l’administra­tion Trump continue de présenter l’arrestatio­n de Julian Assange, poursuivi pour espionnage par la justice américaine, comme une «priorité».

Julian Assange a réagi à l’affaire, sans confirmer les «messages privés supposés» avec Donald Trump Jr. Il se pose une nouvelle fois en chantre de la transparen­ce. «WikiLeaks peut se montrer très efficace pour convaincre des personnes, même très haut placées, qu’il y va de leur intérêt de promouvoir ses publicatio­ns», a-t-il fait savoir. Il assure avoir déjà poussé Donald Trump Jr à publier des e-mails, en juillet.

A gauche: Julian Assange, fondateur de WikiLeaks. A droite: Donald Trump Jr, le fils aîné du président américain. «WikiLeaks peut se montrer très efficace pour convaincre des personnes, même très haut placées, qu’il y va de leur intérêt de promouvoir ses publicatio­ns» JULIAN ASSANGE

Le fils régulièrem­ent tancé pour sa naïveté était alors déjà rattrapé par les tentacules de l’affaire russe. Il a dû se justifier d’une curieuse rencontre, en juin 2016, avec une avocate russe, en présence de son beau-frère Jared Kushner et de Paul Manafort, le chef de campagne de Donald Trump, aujourd’hui inculpé. Sous pression, il s’était résolu à publier des e-mails dans lesquels il disait clairement être prêt à recevoir des documents compromett­ants des Russes pour nuire à Hillary Clinton. Mais il assurait alors ne pas en avoir parlé à son père.

Ces nouvelles révélation­s tombent alors que le ministre de la Justice américain, Jeff Sessions, était une nouvelle fois auditionné par le Congrès mardi. Il a promis une décision «rapide» à propos d’une possible enquête sur Hillary Clinton et sa gestion des e-mails – elle avait utilisé sa messagerie privée quand elle était secrétaire d’Etat. Une requête de longue date de Donald Trump, qui rêve de la voir poursuivie en justice.

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(REUTERS)
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