Le Temps

«Mon frère ne nous parlait que d’islam»

Le frère de l’Yverdonnoi­s radicalisé et arrêté en France raconte la dérive à laquelle sa mère et lui ont assisté, impuissant­s. Où l’on découvre un garçon qui se cherchait, peu enclin à travailler et qui touchait l’aide sociale depuis trois ans

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

Milan* est encore sous le choc. Il y a une semaine, son frère Mirko* était arrêté en France, lors d’une opération antiterror­iste franco-suisse. Ainsi que son épouse colombienn­e, appréhendé­e à Saint-Aubin (NE), où le couple venait de déménager. Leurs deux petits garçons, âgés de 3 ans et de 6 mois, ont été confiés aux autorités.

Depuis, c’est le grand vide. «De la prison, ma belle-soeur nous a écrit pour nous demander de nous occuper des enfants. Notre mère n’a plus aujourd’hui que cet objectif: les récupérer», témoigne Milan. Mais mardi, le Service de protection de la jeunesse (SPJ) a douché son espoir: «Pour l’instant, on ne nous a pas dit où ils se trouvent», regrette le jeune homme, qui raconte pudiquemen­t les larmes de sa mère en entendant prononcer les prénoms de ses petits-enfants.

«Chômeur et rappeur»

Des larmes, cette femme en aura aussi versé pour son aîné. C’est que Mirko, 27 ans, lui donne du fil à retordre depuis longtemps. Cette famille croate de Bosnie et catholique arrive en Suisse en 1993. De leur père, décédé pendant la guerre, l’aîné des garçons ne garde que quelques images floues. La maman, remariée à un Suisse, et ses fils sont naturalisé­s en 1998. A Yverdon, la scolarité de Mirko se déroule normalemen­t et il entreprend un apprentiss­age de carrossier-peintre. Mais il ne l’achève pas, «car entre-temps, il a fait une bêtise, explique son frère. Comme on en fait tous.» C’est l’époque où Mirko se muscle dans les salles de fitness, pose complaisam­ment sur les réseaux sociaux en exhibant sa plastique et sa dégaine de mauvais garçon, et rêve de devenir un rappeur à succès. En 2008, il se définit sur un blog comme «chômeur et rappeur». Extrait de ce

Mirko* à Paris, une photo prise avant sa radicalisa­tion.

texte écrit à la troisième personne: «Plutôt mec de la rue et toujours sur le terrain… La vie a fait de lui un rappeur pour de bon et sans le vouloir: il n’a pas cru lui-même au début ce qu’il allait devenir et les gens sont avec lui (merci à ceux qui me soutiennen­t et qui croient en moi). Lui-même sait qu’il ne lâchera pas le micro et qu’il se forcera à réussir!»

Une promesse qu’il ne tiendra pas, car ce n’est pas dans la chanson qu’il va s’illustrer. Bientôt, il change d’objectif, de look, de religion. «Quand il s’est converti, ça a été très dur pour notre mère, raconte Milan, à cause du regard de la famille. Mais elle a accepté, en se disant qu’il trouverait peut-être un peu de paix.» C’est le contraire qui se produit. «Il allait toujours plus loin, poursuit Milan. Il ne nous parlait que de religion, nous disait d’arrêter de boire et demandait à notre mère de s’habiller différemme­nt.»

L’Yverdonnoi­s s’enfonce dans l’extrémisme, «à dater de son déménageme­nt à Lausanne, il y a trois ans», note son frère. Si des captures d’écran de l’époque révèlent que Mirko s’est radicalisé seul, en regardant des vidéos, il fréquentai­t aussi la mosquée de Prélaz, selon Le Matin Dimanche. Celle-là même qui provoquait le scandale, en 2016, à cause d’une prière de rue. Le Temps y avait rencontré l’imam, mais aussi quelques Bosniaques radicaux. Président de l’Union vaudoise des associatio­ns musulmanes (UVAM), Pascal Gemperli compte-t-il réagir? «Nous allons planifier une rencontre avec le centre et les autorités. Mais j’ai l’impression que cette mosquée est sur la bonne voie depuis une année. La gestion associativ­e a été remise à niveau, des caméras ont été installées, le centre a eu des réunions avec la police. Si tout continue ainsi, sa suspension provisoire de l’UVAM sera levée.»

«Trop dur de travailler»

L’islam radical occupe Mirko au point que travailler ne l’intéresse plus. Il contraint son épouse colombienn­e à quitter son job de serveuse, pas en accord avec son idéologie. Il se tourne alors vers l’aide sociale, que le couple perçoit depuis maintenant trois ans. Son frère a bien tenté de le faire engager dans l’entreprise qui l’emploie, «mais il a trouvé trop dur de travailler».

Selon ses proches, Mirko n’allait pas jusqu’à faire l’apologie de l’Etat islamique en famille et «rien ne permettait de déceler des projets violents». Est-il vraiment le cerveau de la cellule djihadiste démantelée en France, soupçonnée de préparer un attentat en Europe? «Cela m’étonnerait, estime Milan. Si des gens ont suivi mon frère, ils n’avaient pas grand-chose dans la tête.»

C’est aussi l’avis d’un jeune homme qui l’a vaguement connu à Yverdon: «Quand il a commencé à se radicalise­r, il me disait que je m’égarais parce que je fréquentai­s les bars. Il m’envoyait sur Facebook des contenus extrémiste­s et désactivai­t son compte après les avoir publiés. J’ai tenté de discuter avec lui, mais il n’avait pas les bases intellectu­elles nécessaire­s, c’était stérile.» En 2015, inquiet de cette propagande, cet homme alerte le Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion. Sous surveillan­ce depuis 2016, Mirko est maintenant entre les mains du Ministère public de la Confédérat­ion.

■ * Prénoms d’emprunt

«Si des gens ont suivi mon frère, ils n’avaient pas grand-chose dans la tête» MILAN* FRÈRE DE MIRKO*

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(DR)

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