Le Temps

Au Mali, l’écroulemen­t de l’Etat inquiète

Au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, la désagrégat­ion de l’appareil étatique malien a nourri les inquiétude­s. Un défi social et politique contre lequel bute la force militaire commune du G5 Sahel

- RICHARD WERLY, DAKAR @LTwerly

A Gao, le Comité internatio­nal de la Croix-Rouge (CICR) assure toujours, quatre ans après l’interventi­on militaire française au Mali, le fonctionne­ment de l’hôpital. Idem à Kidal, où le CICR a pris le relais de Médecins du monde. Médecins sans frontières fait de même à Tombouctou. Et au centre du pays, à Mopti, le CICR est de plus en plus seul pour opérer la remise en fonction du centre de réhabilita­tion orthopédiq­ue…

Explicatio­n: alors que le mandat de l’actuel président malien Ibrahim Boubacar Keïta (élu en septembre 2013) s’achève à l’automne 2018, l’autorité et les capacités de l’Etat dans le pays ne cessent de reculer et de s’affaiblir, ouvrant la voie aux troubles ethniques et aux menées djihadiste­s. Une réalité mise en lumière lors du Forum annuel sur la paix et la sécurité en Afrique, qui s’est achevé mardi à Dakar. «Le risque, c’est celui de l’affaisseme­nt généralisé de l’administra­tion et des services publics. Dans toutes les zones «libérées» où les troupes françaises ont chassé les islamistes, l’Etat n’a pas repris sa place. Le vide perdure», s’inquiète un général sénégalais, ancien de la Minusma, l’opération des Nations unies au Mali.

Très préoccupé par la dégradatio­n des conditions humanitair­es, le CICR a publiqueme­nt tiré le signal d’alarme. «Nous assistons à cet affaisseme­nt. L’agricultur­e et le bétail, qui sont les deux plus grosses activités économique­s à l’intérieur du pays, sont en situation d’abandon. Nous devons fournir semences et vaccins», s’est inquiété à Dakar son directeur adjoint pour l’Afrique, Patrick Youssef.

Incompéten­ce de l’administra­tion

Impossible, en effet, de dissocier la situation sécuritair­e au Sahel et l’équation malienne. A la fin novembre, le sommet AfriqueUni­on européenne à Abidjan (Côte d’Ivoire) doit confirmer le soutien de la France et de ses partenaire­s à la force commune du G5 Sahel pour laquelle chaque pays membre (Mauritanie, Niger, Mali, Burkina Faso et Tchad) doit fournir un contingent de 650 hommes. Cette force, selon le député français Gwendal Rouillard, spécialist­e des questions de défense, «est un pas énorme lorsqu’on se souvient de la situation en 2011-2012. Une coordinati­on se met en place. Les moyens militaires arrivent. Sur le plan sécuritair­e, le dispositif se consolide.» L’idée est, à terme, de permettre à Paris de réduire son dispositif Barkhane, composé d’environ 4000 soldats stationnés en permanence dans la zone.

Mais comment «tenir» le Mali si celui-ci s’effondre? «Le problème clé n’est pas sécuritair­e, confirme au Temps l’ancien premier ministre Moussa Mara, dont le parti tiendra ces prochains jours son congrès à Mopti, dans ce centre du pays de plus en plus instable. Le premier danger est l’incompéten­ce de l’administra­tion actuelle, dont l’action ne cesse de reculer. Les missions de base de service public, comme l’eau ou la santé, ne sont plus assurées. Comment voulez-vous que la population, dans ces conditions, résiste aux sirènes djihadiste­s?»

Affronteme­nts communauta­ires

A cette dégradatio­n politique s’ajoute une nouvelle dimension: les affronteme­nts communauta­ires entre les éleveurs peuls, deuxième ethnie du pays après les Bambaras. «L’attention internatio­nale reste focalisée sur le nord, avec le problème touareg. Or c’est une erreur, poursuit Moussa Mara. L’appauvriss­ement généralisé de la région centre entraîne des affronteme­nts ethniques inédits. Des exécutions sommaires ont eu lieu. Des éléments de l’armée sont impliqués. Une spirale de la terreur et de la défiance s’installe.» Un vétéran de l’action humanitair­e dans le pays ajoute: «Le sort du Mali est pris en otage par le Nord et les Touaregs. Tout tourne autour de l’applicatio­n des accords de paix d’Alger (signés en mai 2015) alors qu’il faudrait d’urgence un plan social à grande échelle, des initiative­s pour la jeunesse. Un horizon.» La gangrène du trafic de drogue (qui remonte vers l’Europe via le Mali) et la corruption – l’entourage présidenti­el est souvent pointé du doigt – font le reste. «Le G5 Sahel illustre une approche d’armée de riches. On planifie pour intervenir et frapper fort», poursuit notre interlocut­eur. «Les djihadiste­s, eux, sont l’armée des pauvres. Ils se réinstalle­nt au fil du délitement.»

En vue de la prochaine présidenti­elle, Moussa Mara réfute le tout sécuritair­e. Le fait que les militaires français admettent désormais qu’il faudra «rester longtemps» au Sahel le rassure à moitié. «L’addition de moyens militaires ne réglera rien sans une relève politique et une volonté de reprendre le contrôle gouverneme­ntal du pays, conclut-il. Or nous disposons des ressources humaines. Les ONG maliennes sont fortes. La société civile tient. Il faut oser l’alternance.» Avec un écueil: la candidatur­e probable du président sortant IBK, qui inaugurait le Forum de Dakar 2017. «Sommes-nous coincés au Mali? Honnêtemen­t, la réponse est oui», admettait, après l’avoir écouté, un général français haut placé.

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