Le Temps

Marie Garnier perd son immunité

Fait historique dans le canton de Fribourg, le parlement a voté à une voix près la levée de l’immunité de sa conseillèr­e d’Etat. Une enquête pénale pourra déterminer si cette dernière a violé son secret de fonction

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Jusqu’à la lie. Marie Garnier a beau avoir démissionn­é la semaine dernière, le Grand Conseil fribourgeo­is a rempli hier après-midi le calice qui fera désormais durer cette affaire durant toute la campagne pour l’élection complément­aire de ce printemps. Baigné dans la lumière des vitraux illustrant des personnage­s de l’histoire de Fribourg, le parlement a débattu librement de la décision de lever l’immunité de sa ministre avant de prendre sa décision à bulletin secret. Le vote s’est joué de manière très serrée: par 56 voix, soit pile la majorité qualifiée, les députés ont jugé qu’une enquête pénale aurait le dernier mot sur l’affaire Garnier.

«L’immunité parlementa­ire n’est pas un privilège qu’on accorde aux élus, mais c’est un outil qui garantit le bon fonctionne­ment des autorités» ANTOINETTE DE WECK, DÉPUTÉE PLR

L’affaire Garnier, c’est le reproche fait à la conseillèr­e d’Etat d’avoir brisé son secret de fonction en remettant à la presse un audit confidenti­el sur le fonctionne­ment de la Préfecture de la Sarine. Une commission spéciale s’était penchée sur le dossier et s’était prononcée à 10 contre 1 en faveur de la levée de l’immunité. Mardi, dans la salle du Grand Conseil, son rapporteur PLR, Nicolas Bürgisser, a plaidé «pour que la lumière soit faite sur cette affaire».

Institutio­ns «mises à mal» par la conseillèr­e d’Etat

Sa copartisan­e, la députée Antoinette de Weck, s’est exprimée à titre personnel contre son avis. «L’immunité parlementa­ire n’est pas un privilège qu’on accorde aux élus, mais c’est un outil qui garantit le bon fonctionne­ment des autorités», a-t-elle rappelé. La socialiste Erika Schnyder l’a rejointe dans son raisonneme­nt. «La levée est un acte qui doit avoir une justificat­ion fondamenta­le, sinon on vide de son sens l’immunité gouverneme­ntale qui est une protection contre les plaintes abusives entravant le travail de l’Etat.» Toutes deux citent les cas de Christoph Blocher et de Christa Markwalder dont les parlementa­ires fédéraux avaient refusé de lever l’immunité.

Au nom de son parti, le député UDC Nicolas Kelly a appelé à suivre la conclusion de la commission. «Nos institutio­ns ont été mises à mal par la conseillèr­e d’Etat», a-t-il lancé debout face à Marie Garnier, pour le coup

La conseillèr­e d’Etat du canton de Fribourg Marie Garnier réagit lors de l’annonce de la levée de son immunité.

impassible. «Tout employé de l’Etat qui aurait violé le secret de fonction se serait fait blâmer ou licencier. Il serait alors incompréhe­nsible pour nos citoyens qu’une ministre soit épargnée.»

Devant les 110 députés, Marie Garnier a renoncé à se prononcer sur la procédure car le temps qui lui était imparti était trop court, mais elle a déclaré qu’elle n’avait rien à redouter. En effet, elle avait elle-même accepté la levée de son immunité, au moment où le procureur Fabien Gasser déclarait vouloir l’auditionne­r, histoire de démontrer qu’elle se considérai­t comme étant dans la légalité.

Coup porté à l’image du canton

Alors que sa remise d’un document confidenti­el à la presse n’est pour certains qu’une peccadille, la levée de l’immunité d’un membre du gouverneme­nt porte un coup grave à l’Etat de Fribourg et à son image. C’est en tout cas ce que souligne un proche du gouverneme­nt qui tient à garder l’anonymat. «Il y a une part de populisme à agir de la sorte, on enlève aux élus une liberté de manoeuvre qui est consubstan­tielle à la démocratie. C’est un fonctionne­ment récurrent de la part de l’UDC.» Le président du gouverneme­nt, Maurice Ropraz, n’est pas inquiet. «Cette décision, sur laquelle je ne fais pas de commentair­e, ne troublera pas le bon fonctionne­ment de nos institutio­ns, ni le travail de mes collègues.»

Reste un dernier chapitre dans cette histoire rocamboles­que, genre auquel Fribourg n’est pas habitué. Le procureur Fabien Gasser, qui avait demandé la levée de l’immunité de Marie Garnier, s’est récusé du dossier la semaine dernière. Son amie intime, la vice-chancelièr­e de l’Etat de Fribourg, avait pu assister à des réunions du gouverneme­nt sur l’affaire Garnier. Dans un tel cas, la justice prévoit que le Conseil de la magistratu­re désigne et assermente un procureur ad hoc qui se charge de la procédure jusqu’à son issue définitive. Peuvent entrer en ligne de compte les juges du canton, ou extérieurs au canton, ou toute autre personne ayant les capacités requises.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE)

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