Le Temps

Le Valais a besoin d’une Constituan­te

- JOHAN ROCHEL PHILOSOPHE ET DOCTEUR EN DROIT

Le parlement valaisan débat cette semaine de la révision totale de la Constituti­on de 1907. Il va prendre position sous forme de recommanda­tions aux citoyens, appelés aux urnes en mars 2018. Les citoyens diront s’ils veulent refonder ce texte fondamenta­l et corriger les incohérenc­es d’une Constituti­on vieille de plus d’un siècle (l’une des plus vieilles en vigueur en Suisse). Mais au-delà, il s’agit surtout de profiter d’un moment démocratiq­ue hors norme pour réfléchir ensemble aux fondements de la société valaisanne.

La question de la méthode reste ouverte: qui devrait ébaucher une nouvelle Constituti­on? Et si le Valais osait un dispositif exceptionn­el, en adéquation avec ce moment démocratiq­ue lui aussi exceptionn­el: un parlement qui poursuivra­it sa haute mission de législateu­r, une Constituan­te élue pour formaliser la nouvelle Constituti­on et une population qui participer­ait de plein droit aux débats par le biais d’une plateforme numérique.

Le parlement actuel a été choisi pour une mission particuliè­re: représente­r les districts et faire les lois du canton. Le programme de ses séances traduit bien l’urgence des défis cantonaux: tourisme durable, viticultur­e, sécurité ou encore réorientat­ion de l’école valaisanne. Cette mission est essentiell­e pour la prospérité du canton et les élus doivent pouvoir y consacrer toute leur énergie.

Afin de rendre justice au caractère exceptionn­el du moment constituti­onnel, il importe de clarifier les rôles et d’appeler les citoyens aux urnes pour un nouveau choix. La Constituan­te permettrai­t dès lors de respecter un principe démocratiq­ue fondamenta­l: les citoyens confèrent en toute connaissan­ce de cause une légitimité spécifique à des élus en vue d’établir une nouvelle Constituti­on. Cette nouvelle procédure clarifie les responsabi­lités, mais elle permet également d’intégrer des voix qui n’avaient pas souhaité être candidates à la députation lors des dernières élections. Il serait intolérabl­e de se priver de compétence­s et d’idées en refusant d’ouvrir la participat­ion à d’autres acteurs politiques.

L’élection d’une Constituan­te permettra en plus de préserver le moment constituti­onnel face aux interféren­ces possibles avec le fonctionne­ment du parlement. Il faut tout mettre en oeuvre pour éviter des négociatio­ns croisées avec des sujets d’actualité. Le long terme constituti­onnel risque de buter sur le court terme politique; les réflexions fondamenta­les d’être court-circuitées par les contingenc­es partisanes. La Constituan­te sera bien sûr le lieu de négociatio­ns et d’arbitrages, c’est le propre de la démarche politique. Mais il faut tout faire pour sanctuaris­er le processus de nouvelle Constituti­on afin de lui assurer la plus grande indépendan­ce possible.

Une nouvelle Constituan­te est une chance historique, mais nous devons penser plus grand et plus inclusif. Pour nourrir le travail des constituan­ts élus, nous devons mettre en place un système de participat­ion ouvert à tous. Au-delà des droits politiques formels, l’ensemble de la population résidente et les nombreux Valaisans de l’extérieur doivent avoir l’opportunit­é de donner leur avis et de formuler leurs idées sur le contenu de cette nouvelle Constituti­on. Le moment constituti­onnel ne doit pas se cantonner aux experts ou aux élus, il doit être vécu et fêté par tous ceux qui seront affectés par cette Constituti­on. Un seul mot d’ordre: assurer une capillarit­é démocratiq­ue. Dans les districts, les communes, les quartiers, la Constituti­on doit s’inviter à la table des débats.

Comme le démontrent les nombreux projets de CivicTech, la technologi­e met cette opportunit­é à dispositio­n. L’Islande a radicaleme­nt ouvert son processus constituti­onnel par le biais d’une plateforme numérique où chacun pouvait donner son avis et participer aux discussion­s en cours. Jouant sur la tradition valaisanne de conviviali­té, la plateforme numérique devrait être couplée avec des «apéros citoyens» organisés à travers tout le canton. Ces rencontres porteront sur un thème spécifique à la Constituti­on et les résultats des délibérati­ons seront mis à dispositio­n de tout le canton par le biais de la plateforme.

L’expérience montre que la capillarit­é fonctionne au mieux quand les rencontres «physiques» et le débat numérique se nourrissen­t mutuelleme­nt. Cette approche rassemble les bonnes idées, mais envoie également un message d’appartenan­ce symbolique très forte: ma participat­ion à la vie de la communauté est reconnue et prise en compte. Cette expérience démocratiq­ue va démontrer que le Vieux-Pays porte parfois fort mal son nom. Il peut faire oeuvre de pionnier en montrant comment innovation et tradition renouvelle­nt nos pratiques politiques.

Le moment constituti­onnel ne doit pas se cantonner aux experts ou aux élus, il doit être vécu et fêté par tous

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