Le Temps

Le Japon inquiet face aux ambitions chinoises

- ANTOINE ROTH DOCTORANT À L’UNIVERSITÉ DE TOKYO

Le Japon a beaucoup contribué au développem­ent économique de la Chine. Les investisse­ments massifs et les transferts de technologi­e offerts à partir des années 1980 ont lancé le pays sur le chemin de la modernisat­ion. Aujourd’hui encore, la position officielle du Japon est favorable à l’essor de son immense voisin. Le gouverneme­nt appelle au maintien d’une relation stable et mutuelleme­nt bénéfique et encourage la Chine à jouer un rôle actif en Asie et autour du monde. Derrière cette façade, cependant, se cache une appréhensi­on croissante. Celle-ci est bien sûr d’abord due aux questions historique­s et territoria­les qui causent régulièrem­ent des tensions entre les deux voisins ainsi qu’à une certaine déception face à l’autoritari­sme continu du Parti communiste chinois. Elle a cependant également des causes plus profondes.

En effet, à l’heure où le Parti, sous la direction de Xi Jinping, affirme avec confiance que l’heure est venue pour son pays de se placer au centre de la scène internatio­nale et de guider la société des Etats vers un futur harmonieux, le Japon voit plutôt dans la trajectoir­e actuelle du pays des échos inquiétant­s de son propre passé. Course à la puissance économique et militaire, nationalis­me grandissan­t et hostile à l’étranger, revanchism­e envers ceux qui l’ont «humilié» durant le siècle qui a précédé la naissance de la Chine moderne… Autant d’éléments qui rappellent aux Japonais réfléchis la période sombre durant laquelle est né le désastreux projet de domination impériale de leur pays.

Il ne faut bien entendu pas pousser le parallèle trop loin. La Chine d’aujourd’hui n’affiche aucune ambition territoria­le au-delà des îles et territoire­s disputés sur sa périphérie immédiate. Au contraire, Xi Jinping se plaît à souligner que l’invasion d’autrui n’est pas dans les gènes des Chinois. Plus généraleme­nt, sa rhétorique diplomatiq­ue est coopérativ­e et bienveilla­nte. Elle souligne le besoin de résoudre les différends de façon pacifique et de baser les relations entre Etats sur des principes tels que l’amitié, la sincérité et les bénéfices mutuels – un message auquel nul ne saurait s’opposer.

Les actions chinoises en Asie de l’Est contredise­nt cependant ces belles paroles. Tout pays qui porte atteinte aux «intérêts de base» de Pékin est rapidement l’objet de sanctions diplomatiq­ues et économique­s. En mer de Chine méridional­e, les vaisseaux chinois harcèlent les pêcheurs des pays voisins et occupent par la force les territoire­s disputés. Quant au Japon, il doit régulièrem­ent faire face à des incursions dans l’espace maritime et aérien qu’il considère lui appartenir. L’archipel nippon, barrière physique entre la Chine et l’océan Pacifique, ressent de plus en plus la pression d’un pays déterminé à s’imposer comme grande puissance maritime.

Il est donc difficile pour les Japonais de prendre au sérieux la rhétorique de l’amitié venant de Pékin. Pour Tokyo, la rapidité à s’offusquer de la Chine et son empresseme­nt, en cas de différend, à obtenir un avantage par la force plutôt que de laisser les diplomates faire leur travail en font un partenaire difficile, et le sentiment de menace potentiell­e à l’intégrité territoria­le du Japon est réel. Il est donc peu surprenant que le pays soit déterminé à préserver et à renforcer son alliance avec les Etats-Unis, garantie de sa sécurité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Aussi longtemps que cette attitude méfiante dominera dans l’archipel, le Japon restera un obstacle important aux ambitions diplomatiq­ues de la Chine. En effet, il est difficile d’imaginer un ordre internatio­nal centré sur cette dernière tant que son voisin asiatique le plus puissant sera déterminé à contrer comme il le peut ce qu’il voit plutôt comme un projet de domination par la force sur le modèle des grandes puissances des siècles passés. La Chine devra donc tôt ou tard trouver un terrain d’entente avec le Japon. Pour l’instant, elle prend plutôt la direction opposée.

Le Japon voit dans la trajectoir­e actuelle de la Chine des échos inquiétant­s de son propre passé

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