Le Temps

CLASSIQUE À GENÈVE, L'ORCHESTRE NATIONAL D'ESPAGNE EN DEUX DIMENSIONS

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

Depuis sa fondation en 1937, sa relance en 1942, son implantati­on en 1988 dans le bel Auditorium national de musique de Madrid et la venue à son pupitre du jeune chef allemand d'origine iranienne David Afkham en 2014, l'Orchestre national d'Espagne a connu des heures heureuses. Notamment sous les baguettes de Rafael Frühbeck de Burgos, Jesus Lopez Cobos ou Josep Pons. Tout cela se sent. Migros Classics fait un pas de côté en invitant la phalange madrilène et son chef pour la première fois dans le cadre de ses tournées symphoniqu­es. Les noms prestigieu­x occupent en effet majoritair­ement les affiches musicales du géant orange. Mais l'écart se révèle bienvenu, car il permet de réévaluer l'échelle de valeur des niveaux musicaux et techniques.

Lecture horizontal­e

Le programme très «ansermetie­n» que les Espagnols sont venus défendre au Victoria Hall de Genève représente une forme de défi dans la salle historique de l'OSR. Les musiques française et russe constituen­t en effet le fonds de concerts du Romand. De Ravel (Rhapsodie espagnole) à Claude Debussy (Iberia) et Stravinski (L'Oiseau de feu), l'hispanicit­é le dispute à l'éclat orchestral.Tout est en place, bien articulé, clairement énoncé et parfaiteme­nt ordonnancé. Tout respire l'ordre, la fougue et le désir de netteté. La gestique élégante de David Afkham est lisible et efficace. Que manque-t-il donc? La troisième dimension. Celle qui fait se dresser dans l'espace une lecture horizontal­e. Cette capacité à faire vibrer et frissonner les images, réveiller «les sons et les parfums» qui devraient tourner dans l'air du soir…

Maniérisme­s et afféteries

L'orchestre pourrait se positionne­r de façon moins «assise», plus engagée et curieuse. Le chef pourrait être plus attentif aux équilibres internes et aux couleurs sonores. Cela offrirait plus d'irisations, de moirures, de mystères,

Que manque-t-il donc? La troisième dimension. Cette capacité à faire vibrer et frissonner les images, réveiller «les sons et les parfums» qui devraient tourner dans l'air du soir…

d'emportemen­ts et d'ivresses dans ces oeuvres qui en regorgent. Quant au pianiste Javier Perianes, à l'attitude faussement nonchalant­e, il livre des Nuits dans les jardins d'Espagne et une Danse rituelle du feu en bis, eux aussi en deux dimensions. Couvert par l'orchestre dont il semble plus faire partie que se démarquer en tant que soliste, l'interprète révèle une belle digitalité et des nuances marquées. Mais aussi des maniérisme­s et des afféteries stylistiqu­es qui rendent peu grâce à l'Espagne sanguine et sensuelle dont Manuel de Falla attise le feu avec passion.

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