Lénine raconté en mode accéléré
A l’Alchimic, à Genève, de courtes vignettes retracent la vie du révolutionnaire. L’auteur et metteur en scène genevois Dominique Ziegler est amoureux de l’histoire, mais moins du théâtre
«C’est intéressant!» A la fin du Rêve de Vladimir, ma voisine de gauche a eu exactement les mots qu’il faut. A l’image de ses pièces consacrées à de grands hommes (Calvin, Rousseau, Jaurès), Dominique Ziegler dresse un portrait soigneusement documenté de Lénine. On apprend ou on retrouve beaucoup de choses sur le fondateur du bolchevisme.
Mais, contrairement à sa proposition trépidante et insolente consacrée à Jean-Jacques Rousseau, le Genevois livre ici un biopic bien trop sage sur le plan formel pour ravir totalement les amoureux du théâtre. Dans cette fresque, les acteurs apparaissent et disparaissent de manière éclair, au service de courtes vignettes historiques qui, de Saint-Pétersbourg – ou plutôt Petrograd – à Genève, retracent l’aventure révolutionnaire. Une systématique étonnamment alignée pour retracer la vie d’un homme sorti du rang.
Lénine sous toutes les coutures
Lénine adolescent remuant. Lénine étudiant en droit. Lénine avocat qui défend des paysans à Samara. Lénine qui découvre Le Capital de Marx et décrète que l’avenir appartient aux ouvriers. Lénine qui, avec sa femme, la camarade Kroupskaïa, aligne résidence surveillée et périodes d’exil en Europe pour échapper à la police secrète du tsar. Lénine qui travaille à la fondation du Parti ouvrier social-démocrate russe et ne croit qu’en cette force ouvrière, avant-garde déterminée «qui ne se perd pas en vaines discussions». Lénine, père du bolchevisme, qui condamne les mencheviks, trop modérés à son goût. Lénine qui lance depuis l’Europe l’Iskra, L’Etincelle, le journal qui allume la contestation. Puis publie le manifeste Que faire?, véritable stratégie de combat.
Lénine qui, en exil à Zurich, manque la révolution de février 1917, mais rentre peu après au pays pour durcir les fronts. Là encore, pas question de partager le pouvoir post-aristocratique avec les partis bourgeois. «Ces cochons de mencheviks», comme il aime les nommer. Lénine qui engage Staline, l’homme de fer, pour faire le ménage parmi les traîtres à la cause. Lénine qui, à la fin de sa vie, une fin prématurée, à 53 ans, regrette ces pleins pouvoirs donnés à Staline…
Rigueur de jeu exemplaire
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Dominique Ziegler s’est appliqué à livrer un cours d’histoire animé et complet. Il ne manque aucune des étapes qui ont scandé la construction de la pensée et l’action du leader communiste. Dans le même esprit, les acteurs déploient une rigueur de jeu exemplaire. Julien Tsongas, parfaitement coiffé et maquillé, vibre du feu révolutionnaire. Yasmina Remil compose la mère puis la femme de Lénine avec une présence précise et dense. La voix grave d’Olivier Lafrance fait écho aux heures sombres, puis solennelles de la lutte ouvrière. L’agile Simon Labarrière se glisse avec aisance dans la peau de Trotski et d’autres protagonistes de cette période de refondation.
Tandis que Pierre-Benoist Varoclier, une découverte, ouvre la brèche contestataire sous les traits du frère de Lénine avant d’incarner d’autres figures, amies et ennemies du théoricien. C’est cet acteur aussi qui dit le plus beau monologue de la soirée, peut-être parce que ce moment est teinté de mélancolie: la déclaration du soviet des marins à Kronstadt qui, face aux assauts de la Tcheka, la police politique communiste, appelle à une nouvelle révolution. Là, se crée comme une bulle sur scène.
Sinon, l’histoire n’attend pas. Sur fond de photos ou de films d’époque, Dominique Ziegler a tellement à coeur de rendre l’utopie, mais aussi la radicalité dictatoriale de son sujet, qu’il utilise le théâtre comme un livre dont on tournerait les pages en quête de renseignements précieux et non comme une matière sensorielle. Peu ou pas de profondeur de champ, peu ou pas de variations de rythme, de travail sur le jeu ou de nuances de climats dramatiques.
Comme a très bien dit ma voisine, «c’est intéressant». Mais le théâtre est un peu sacrifié sur l’autel de l’édification populaire.
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Le Rêve de Vladimir, jusqu’au 19 novembre, Théâtre Alchimic, Genève.