Le Temps

Une série TV autour du secret bancaire

La RTS dévoile ce jeudi «Quartier des banques», thriller à forte intensité familiale dans une banque privée genevoise. Une minisérie coproduite avec la Belgique qui élève d’un cran les ambitions du diffuseur. Et qui vaut la peine

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour Quartier des banques. RTS Un, dès 21h15.

FICTION TV La fin du secret bancaire en Suisse a désormais sa fiction. Où on retrouve Brigitte Fossey, Vincent Kucholl ou encore Lauriane Gilliéron. La RTS dévoile ce jeudi Quartier des banques, thriller qui raconte une saga familiale autour d’une banque privée genevoise. Une minisérie en six épisodes coproduite avec la Belgique qui marque un jalon dans la fiction TV romande. Pari réussi.

Ce petit monde là tourne, ou plutôt ne tourne plus, autour d’un grand échalas qui gît sur son lit d’hôpital, comateux, avec des bips pour seule parole. Paul Grangier (Vincent Kucholl), directeur de la banque genevoise privée Grangier & Cie, est paralysé à la suite d’un grave surdosage lié à son diabète. Panique dans le clan familial, le frère Alexandre (Arnaud Binard), la soeur Elisabeth, la rebelle de la famille (Laura Sepul), et la mère, Blanche (Brigitte Fossey).

Les Grangier doivent se serrer les coudes car la tempête gronde. L’histoire se passe en 2012, les Etats-Unis commencent à tonner contre le secret bancaire. Ils entament les multiples pressions qui vont faire tomber la pratique helvétique. Peu après, les Français suivront. Elisabeth, elle, est convaincue que son frère n’est pas victime d’un accident ou d’une méprise de dosage, mais qu’on a essayé de le tuer. Elle commence son enquête.

Coproducti­on avec la Belgique francophon­e

Ainsi commence Quartier des banques, la minisérie de l’année de la RTS, et un peu plus. Par son sujet comme son envergure, cette fiction constitue le plus gros pari de la chaîne depuis longtemps, d’autant qu’elle est coproduite avec la Belgique francophon­e. Elle consacre une décennie de séries fabriquées selon une manière tout à fait nouvelle pour le microcosme audiovisue­l suisse, la RTS fonctionna­nt désormais par concours auprès des sociétés indépendan­tes. Dans le cas de Quartier des banques, c’est Point Prod qui est à la manoeuvre, avec une société belge. La série est créée par la scénariste Stéphane Mitchell, le réalisateu­r Fulvio Bernasconi et le producteur JeanMarc Fröhle. La première a supervisé l’écriture des six épisodes. Un poste ne change guère par rapport aux précédente­s séries: le budget, à quelque 900000 francs par épisode, dont 500000 fournis par la RTS.

Sur le papier, lors des premières annonces, il y avait de quoi s’inquiéter. A la distributi­on, Vincent Kucholl et Lauriane Gilliéron (qui incarne son épouse) dans une histoire de banque; les amateurs pouvaient craindre un nouveau grand écart de la RTS, une touche d’audace s’agissant du contexte, et des vedettes bien locales dans des rôles risqués, afin de fédérer les Romands au coin du feu. Au final, Vincent Kucholl brille dans sa brève partie animée – avant l’accident presque fatal, ce soir-là, Paul Grangier recevait le Prix du banquier de l’année, et bafouillai­t au micro, mal à l’aise.

On le devine, la série repose sur le fait que deux secrets volent en éclats, le bancaire dans la réalité, le familial chez les Grangier. Paul, le directeur idéal, n’était pas aussi parfait, sa grande soeur Elisabeth va s’en rendre compte. Matriarche qui semble flageoler, Blanche a des cachotteri­es dignes des coffres en sous-sol.

Quelques maladresse­s

Durant ses six chapitres, Quartier des banques a ses maladresse­s. La fin du premier épisode se révèle pataude, d’autant que le réalisateu­r tient à plaquer un rap un brin ringard à chaque générique final. La série accuse une faiblesse dans les rares scènes d’action, une carence helvétique habituelle. Des scènes politiques à Berne font sourire. En sus, le final ajoute une couche supplément­aire dans la saga familiale, qui n’était pas nécessaire.

Dans le registre du suspense en matière de business, la fiction genevoise n’est pas tout à fait au niveau de Bedrag (Follow the Money), désormais étalon du genre en Europe; ce thriller danois dans le milieu des éoliennes a imposé un ton, plus rugueux et sensibleme­nt plus violent que la propositio­n romande.

Un pari tenu avec talent

Cependant, sans conteste, Quartier des banques marque un jalon dans la fiction TV romande. Le pari est tenu, avec talent: la tension fonctionne et atteint un pic dans le cinquième épisode. Dans cette articulati­on entre le contexte financier et l’histoire de famille, les auteurs trouvent une recette adéquate. L’ensemble se révèle cohérent, le poids de la tradition bancaire joue un rôle de levier – négatif – sur les personnage­s. Le dispositif repose sur ce corps de Paul à l’hôpital, autour duquel s’affole la famille, comme le monde en général, en pleine crise politico-bancaire. Stéphane Mitchell précise: «Nous savions que la saga familiale allait accrocher le public. Mais dès que l’enquête d’Elisabeth n’est plus à l’écran, la tension se relâche. Nous avons donc dû faire un grand travail de dosage.»

Depuis que la RTS a révolution­né sa pratique en matière de séries, Stéphane Mitchell fait figure de casse-cou scénaristi­que du paysage régional. Il y a dix ans, elle reprenait l’écriture d’un projet de nouvelle adaptation de Heidi, entre France Télévision­s et la TSR de l’époque, et elle menait cette périlleuse entreprise à chef en livrant une relecture moderne et brillante de la gamine des montagnes. Plus tard, dans le nouveau cadre de la RTS, elle essuyait les plâtres avec T’es pas la seule!, histoire de femmes dans le milieu vigneron avec Isabelle Caillat, Elodie Frenck et Natacha Koutchoumo­v. Cette fois, pour Quartier des banques, elle innove à nouveau: «J’ai vraiment pu diriger une «writers room». Modeste tout de même, car nous étions quatre auteurs pour toute la partie des scénarios. Puis j’ai travaillé en duo pour les dialogues, avec quatre auteurs différents.»

Deux figures dominantes, deux excellents acteurs

Et ces auteurs ont fait plutôt de bons choix. Notamment en façonnant deux figures dominantes, portées par des acteurs remarquabl­es. Regard las mais coriace, la Belge Laura Sepul (vue dans Ennemi public) porte les six feuilleton­s sur ses épaules, en soeur colérique mais qui finit, un temps, par épouser la cause de la banque familiale. En face, Maître Bartholdy, l’avocat de l’établissem­ent (excellent Féodor Atkine), s’impose en tacticien des fortunes.

La fin du secret bancaire a désormais sa fiction, et la RTS, avec les producteur­s indépendan­ts, gravit une marche sur la scène européenne. Malgré des difficulté­s liées à la non-appartenan­ce de la Suisse à l’UE, ce qui limite ses apports dans le cadre des aides belges pour la production, Jean-Marc Fröhle parle d’un «très beau partenaria­t» avec les homologues belges, noué lors d’une séance de présentati­on de projets au rendez-vous Séries Mania à Paris en 2015. «Il y a eu deux directrice­s de casting, en Suisse et en Belgique: nous avons composé une famille d’acteurs, chez les Grangier comme dans la banque.»

La chaîne belge RTBF montrera Quartier des banques début 2018. Elle a été préachetée par un vendeur internatio­nal. Elargira-t-elle les frontières de la fiction TV romande? Le compte à rebours commence.

L’histoire se passe en 2012, les Etats-Unis commencent à tonner contre le secret bancaire

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(RTS) Elisabeth Grangier (Laura Sepul) et l’avocat de la banque, maître Bartholdy (Feodor Atkine), opposés mais parfois contraints à une alliance objective.

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