Le Temps

Iran-Arabie saoudite: peut-on sortir de l’impasse?

- DIRECTEUR DU CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHE SUR LE MONDE ARABE ET MÉDITERRAN­ÉEN À GENÈVE OMANAISE, SPÉCIALIST­E DU CONSEIL DE COOPÉRATIO­N DU GOLFE (CCG) HASNI ABIDI LARA AL-RAISI

Tous les ingrédient­s d’une nouvelle déflagrati­on au Moyen-Orient sont désormais réunis. L’accord scellé entre Washington et Riyad en mai 2017 ne laisse aucun doute sur les intentions de Donald Trump de pousser les Iraniens à la faute. En Arabie saoudite, l’homme fort est désormais le prince héritier Mohammed ben Salmane, dit MBS. Ambitieux, et pressé lui aussi d’en finir avec l’héritage de Barack Obama, il considère que son pays a été négligé par l’ancienne administra­tion démocrate, qui était soucieuse de normaliser les relations avec Téhéran.

A l’origine de la rivalité irano-saoudienne, il y a notamment, même si ce n’est qu’un prétexte, le vieux clivage sunnisme-chiisme. La constituti­on virtuelle d’un «croissant chiite» dominé par l’Iran et traversant l’Irak, la Syrie et le Liban, avec des extensions au Yémen et à Bahreïn, effraie l’Arabie saoudite, «championne» de l’islam sunnite. Pour pallier l’inconfort de cette position, la politique étrangère de Riyad s’articule traditionn­ellement en trois cercles.

Le premier cercle, c’est la péninsule Arabique. L’Arabie saoudite a été le moteur de la création du Conseil de coopératio­n du golfe (CCG). Le but est de s’assurer le soutien des autres membres, d’obtenir l’apaisement des tensions de voisinage et enfin de conforter sa place de première puissance locale. Le deuxième cercle du champ d’influence saoudien, c’est le reste du monde arabo-musulman. Gardienne des Lieux saints, l’Arabie saoudite entend exercer un magistère moral et religieux auprès des musulmans de toute la planète. Quant au troisième cercle, il serait inexistant s’il n’y avait l’arme pétrolière, source de l’extrême richesse des dirigeants du pays, de leur pouvoir de contrainte sur les économies occidental­es et des liens privilégié­s avec les Etats-Unis depuis 1945.

Dans les années 80, après la révolution iranienne, le royaume a pu faire figure de chef de file d’un bloc de «pétromonar­chies» modérées et prudentes, plutôt alliées des Occidentau­x en cette fin de Guerre froide. Mais cette prudence n’a pas tardé à ressembler à une sclérose. Où en est-on aujourd’hui? L’Arabie saoudite évite d’assumer ses responsabi­lités dans la diffusion mondiale du wahhabisme et balaie les critiques concernant sa politique étrangère, notamment au Yémen. Ce qui ne l’empêche pas de rappeler sans cesse l’hostilité de ses voisins, Iran, Irak, Yémen, pour justifier une diplomatie dominée par la peur et les menaces. Le CCG est en panne depuis la rupture des relations avec le Qatar. Le monde sunnite est plus divisé que jamais. On assiste à la montée des trois puissances non arabes du Moyen-Orient: Iran, Turquie et Israël. Seul le lien avec Washington résiste, puisqu’il a été remis à l’honneur par le président Trump…

La nervosité des dirigeants du royaume s’explique par la grande vulnérabil­ité de celui-ci, toujours dépendant du soutien américain, même s’il s’efforce de ne pas avoir l’air protégé par une puissance étrangère. Sur le plan intérieur, la réputation du régime saoudien n’est que trop connue. Un régime qui rejette tout débat sur l’exercice du pouvoir, l’intégratio­n des citoyens et la redistribu­tion des richesses. Et qui pourtant repose sur une famille divisée et qui vit dans la hantise d’une révolution du palais ou d’un soulèvemen­t des population­s chiites du pays.

Le régime est en train de bouger. MBS a non seulement réussi à neutralise­r tous les personnage­s influents et autres prétendant­s au trône, mais il les a humiliés en les impliquant dans des affaires de corruption et de malversati­on financière. Ainsi, l’équilibre du pouvoir au sein de la famille régnante est rompu, ce qui veut dire aussi que tous les contre-pouvoirs sont désactivés, ce qui n’est pas de bon augure. La rapidité et la radicalité des purges menées par MBS font de lui, pour l’heure, un acteur nouveau et imprévu. C’est une incertitud­e supplément­aire sur une scène mondiale de plus en plus agitée.

Depuis bientôt quarante ans, Washington a presque constammen­t marginalis­é Téhéran dans les relations internatio­nales tout en choyant Riyad. Or l’Iran semble, en comparaiso­n avec l’Arabie saoudite, mener une stratégie pragmatiqu­e, sur une plus large échelle, qui domine la diplomatie volontaris­te du royaume. L’apaisement de la rivalité irano-saoudienne et de ses manifestat­ions dépend principale­ment de l’aplanissem­ent du problème de base, à savoir l’instrument­alisation du clivage confession­nel dans le cadre d’une entreprise d’hégémonie politique. Si cette éventualit­é pouvait se réaliser, les deux pays réduiraien­t le niveau des violences commises au nom des idéologies dont ils se réclament. Mais il faudrait pour cela une reconnaiss­ance mutuelle et la reprise d’un dialogue constructi­f.

Pour l’heure, les deux protagonis­tes sont animés par l’obsession d’affaiblir et d’isoler l’adversaire. La montée en puissance du prince héritier saoudien, partisan d’une ligne dure, est un cadeau inespéré pour l’aile radicale du régime de Téhéran, toujours en embuscade pour mettre en difficulté le président réformateu­r Rohani. A défaut de pouvoir abroger l’accord nucléaire avec l’Iran, Trump est peutêtre en train d’engager le Moyen-Orient dans un nouvel engrenage alors que la convalesce­nce post-Daech n’est même pas entamée.

Trump est peut-être en train d’engager le Moyen-Orient dans un nouvel engrenage

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland