L’empire tricéphale des semences
Monsanto, DowDuPont et Syngenta détiennent 55% du marché mondial des semences. Les trois entités tissent leur toile en rachetant leurs concurrents. Une concentration dont les opposants pointent les risques, en termes tant de biodiversité que de propriété intellectuelle.
Monsanto, DowDuPont et Syngenta tissent leur toile en rachetant leurs concurrents. La Confédération, l’organisation suisse Public Eye et Syngenta militent pour un partage des revenus découlant des variétés développées à partir de semences locales
Syngenta a annoncé, début novembre, le rachat de Nidera Seeds, une société néerlandaise active en Argentine et au Brésil. Cette opération, qui doit encore obtenir l’aval des autorités de la concurrence, lui permettra de renforcer sa présence en Amérique du Sud, un grand continent agricole. C’est ainsi, par le biais d’acquisitions successives, que la multinationale bâloise tisse sa toile sur le marché mondial des semences.
Ce modus operandi n’est pas propre à Syngenta passé en mains chinoises le printemps dernier. Grâce à des dizaines d’acquisitions, les trois premiers semenciers dominent 55% du marché mondial: 27% pour Monsanto, 21% pour DowDuPont et 7% pour Syngenta. Le chiffre global augmentera à 59% si Monsanto réussit sa fusion avec l’allemand Bayer. Cette opération est actuellement sous enquête à Bruxelles. En 2016, ils ont réalisé des ventes de graines pour 2,6 milliards de dollars.
«C’est un cartel plus dangereux que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui sont en train de maîtriser les instruments de prédiction, a averti Jacques Attali, économiste français, lors d’un récent passage à Genève. Les GAFA s’approprient nos données, mais les groupes qui vendent les semences s’approprient la vie.»
Syngenta s’en défend. «Les agriculteurs, même les plus petits, préfèrent des graines améliorées aux rendements élevés et résistantes aux maladies, déclare Kinyua M’mbijjwe, responsable de Syngenta pour l’Afrique de l’est. En Afrique, le problème est plutôt l’accès au financement pour acheter des semences améliorées. Le développement des variétés hybrides est indispensable dans le continent qui comptera 2,5 milliards de bouches à nourrir en 2050.»
Acquisitions en série
Soit. La stratégie des «Big Three» – croître par acquisitions – ne fait pas de doute. DuPont et Dow Chemical viennent de fusionner, mais auparavant les deux ont acheté chacun plusieurs dizaines de concurrents. Le cas de Syngenta est aussi parlant. Outre Nidera Seeds, le groupe bâlois s’est payé les activités agricoles de Novartis, né d’une fusion entre Ciba-Geigy et Sandoz. En 2004, il a acheté Golden Harvest de Minnesota, qui avait avalé elle-même sept sociétés au fil des années. En 2009, le groupe bâlois a acquis la division Tournesol de Monsanto pour 160 millions de dollars. La même année, c’était au tour de Pybas Vegetable Seed de tomber dans l’escarcelle de la bâloise. En 2013, c’est le groupe belge Devgen et la société zambienne MRI qui ont rejoint la constellation Syngenta forte d’au moins une trentaine d’acquisitions.
Biodiversité menacée
Cette concentration inquiète l’Organisation mondiale de l’alimentation plus connue sous le nom de la FAO. Sans entrer dans le débat sur la toute-puissance des semenciers, celle-ci déclare soutenir les pays en voie de développement cherchant à protéger la biodiversité, constituer des stocks de semences locales et les multiplier. «En ce qui concerne la sécurité alimentaire, nous sommes davantage préoccupés par le gaspillage d’au moins un tiers de vivres lors des récoltes en Afrique», déclare un conseiller auprès de la FAO.
En Suisse, c’est la question de la propriété intellectuelle qui inquiète le groupe de pression Public Eye. Son spécialiste en la matière, Laurent Gaberell, conteste aux multinationales le droit de commercialiser des variétés hybrides à partir des semences développées par plusieurs générations dans des champs familiaux. «Nous nous battons pour un partage des revenus découlant des variétés développées à partir des semences locales», dit-il.
Le Traité de la FAO sur les ressources phytogénétiques de 2001 prévoit un tel partage. «Nous nous battons, avec le soutien de la Confédération, mais aussi de Syngenta, pour réformer ce traité qui prévoit des paiements, mais seulement en cas de dépôt de brevets», poursuit Laurent Gaberell. Or, pour y échapper, les semenciers préfèrent un Certificat d’obtention végétal, un équivalent de brevet, mais qui les exempte de diverses obligations.
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