Le Temps

Blockchain et nouvelles espèces numériques

La chronique «Cryptovall­ey» paraîtra un samedi sur deux.

- ANTOINE VERDON ENTREPRENE­UR, INVESTISSE­UR ET MEMBRE DU THINK TANK BANCAIRE DE SWISSCOM E-FORESIGHT

Lors d’une récente conférence sur la blockchain à Zurich, j’ai eu la chance de découvrir une nouvelle espèce de plante au détour d’un couloir du Gottlieb Duttweiler Institut. D’une hauteur de 80 centimètre­s, elle me regardait en agitant doucement sa tige mécanique et en roulant les lumières LED qui lui servent de pistil. Créée par Primavera De Filippi, juriste et chercheuse au CNRS et à Harvard, cette nouvelle espèce est le fruit d’une expérience artistique visant à utiliser la blockchain pour imiter les processus naturels de reproducti­on végétale.

Tout comme une fleur attire les abeilles avec ses étamines, le Plantoid (c’est son nom) attire les humains intrigués par ses couleurs et sa mécanique. Il les invite à lui verser un montant en bitcoin, remerciant les donateurs par une petite danse. Une fois la somme de 2 bitcoins (environ 11000 francs) réunie, un smart contract (contrat intelligen­t) intégré lance une procédure d’appel d’offres automatisé­e et choisit un artiste à même de fabriquer un nouveau spécimen intégrant l’ADN (le code source) du premier.

Le créateur est rémunéré par le smart

contract dès que toutes les exigences fixées par le contrat sont remplies et que le nouveau Plantoid est connecté à la blockchain. Le système est renforcé par un mécanisme pyramidal: les créateurs d’une fleur gagnent un pourcentag­e de l’argent récolté par toutes les fleurs suivantes issues de la nouvelle branche, ce qui les incite à donner une visibilité maximale à leurs créatures.

Ce projet artistique fait une démonstrat­ion des possibilit­és et des conséquenc­es des systèmes décentrali­sés. Grâce à son grand registre mis à jour et distribué par des millions d’ordinateur­s du monde entier, la blockchain a résolu un problème fondamenta­l formulé dès les débuts d’Internet: comment donner à deux parties qui ne se connaissen­t pas la confiance nécessaire pour réaliser une transactio­n en ligne? Un smart

contract n’est rien d’autre qu’une applicatio­n simple comprenant une série de conditions de type «si X, alors Y» qui, une fois publiée, formalise une offre (ici, la promesse de payer un montant en échange de l’accompliss­ement d’un certain nombre de conditions) et permet à toute partie intéressée de remplir la part opposée du contrat.

Ce principe ouvre un nouvel univers de relations commercial­es. C’est ainsi que des entreprise­s de transport vendront leur capacité résiduelle au plus offrant, que des banques rendront des produits financiers disponible­s à toute personne remplissan­t des conditions prédéfinie­s, ou encore que des assurances publieront des contrats en ligne (je paie X francs si la condition Y vérifiée par la base de données Z se réalise) auxquels des parties intéressée­s pourront souscrire à l’autre extrémité.

L’autre idée mise en évidence par le Plantoid, c’est que des smart contracts peuvent être créés et conclus aussi bien par des humains que par des machines. Une impulsion humaine initiale suffit pour qu’un organisme artificiel puisse ensuite se déployer de façon entièremen­t autonome et inarrêtabl­e. Leur nature décentrali­sée signifie en effet qu’une fois lancés, les smart contracts ne peuvent être stoppés qu’à condition de mettre hors ligne tous les noeuds du réseau. Et comme chacun peut télécharge­r et mettre à dispositio­n une blockchain, cela ne serait possible qu’en supprimant Internet.

Peut-être verra-t-on ainsi bientôt des voitures-taxis autonomes affranchie­s de tout propriétai­re, qui gagneront leur vie en s’inscrivant dans une flotte les mettant en contact avec des clients, payant des humains pour leur rendre des services (nettoyage, réparation­s) ou leur apporter des améliorati­ons de confort ou esthétique­s à même d’augmenter sa rentabilit­é et mettant automatiqu­ement sur le marché de nouveaux véhicules au fur et à mesure que ses revenus le permettent. Dans ce scénario, la seule possibilit­é d’interventi­on de l’Etat serait de réglemente­r l’accès côté utilisateu­rs. Voilà qui constituer­ait un nouveau cas intéressan­t pour les autorités politiques et pour les fiscaliste­s.

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