Le président Juncker en visite officielle à Berne
La visite à Berne de Jean-Claude Juncker le 23 novembre prochain est présentée à Bruxelles comme un simple déjeuner de travail avec Doris Leuthard, présidente de la Confédération. Envisagée dès le mois de février dernier, elle représente un geste de considération de la part du président de la Commission européenne. C’est aussi un signal supplémentaire de la normalisation intervenue dans les relations entre la Suisse et l’UE. On se souvient que Jean-Claude Juncker s’était abstenu de participer à l’inauguration du tunnel de base du Gothard le 1er juin 2016.
L’UE a débloqué certains dossiers gelés après le scrutin populaire sur l’immigration le 9 février 2014. En même temps, la Suisse s’était engagée à renouveler sa contribution à la politique de cohésion de l’UE en Europe centrale. Le crédit institué en 2016 était épuisé. C’est pratiquement chose faite: bien que la décision du Conseil fédéral n’ait pas été rendue publique, il est clair que Jean-Claude Juncker ne se serait pas déplacé s’il n’avait reçu des assurances à cet égard.
De plus, Jean-Claude Juncker et Doris Leuthard signeront l’accord sur le commerce des droits d’émission qui favorise la lutte en commun contre les gaz à effet de serre. La négociation de ce document a pris six longues années.
C’est sans doute la dernière visite officielle de Jean-Claude Juncker à Berne. Dans moins de deux ans, le président de la Commission européenne aura quitté ses fonctions. L’ancien premier ministre du Luxembourg est un partenaire de longue date de la Suisse, fin connaisseur de notre système politique (n’a-t-il pas un soir débattu pied à pied avec Christoph Blocher?) et qui se présente en ami éprouvé de notre pays. Pendant longtemps les deux Etats ont résisté de concert aux pressions des autres Etats européens sur l’abolition du secret bancaire…
A Berne, le président de la Commission s’exprimera avec un certain optimisme. L’UE connaît ce qu’il a appelé un «rebond économique et un regain de confiance». Les réformes engagées l’an dernier se poursuivent, y compris dans le domaine fiscal et dans la gouvernance de l’euro. Cependant le défi posé par l’immigration divise toujours l’UE. Gestion des frontières et fonction de protection sont difficiles à conjuguer et l’UE n’a pas de politique agréée en la matière, ce que la Suisse déplore. Les positions anti-démocratiques de certains pays d’Europe centrale – Pologne, Hongrie, notamment – font problème, car elles s’opposent aux traités européens. Ces pays renforcent le courant populiste, nationaliste et conservateur qui se développe en Europe et contestent de l’intérieur la construction européenne. L’UE a rappelé qu’elle constituait une communauté de valeurs qu’elle entend défendre. Et la question commence à se poser au sein de l’UE: les pays hostiles aux fondements de l’Union européenne peuvent-ils continuer à bénéficier des fonds structurels communautaires et autres fonds de cohésion sociale? Si le prochain budget de l’UE refusait de poursuivre ces programmes, la Suisse ne saurait manquer d’en tenir compte dans ses programmes de coopération, notamment avec la Pologne.
Lors de l’échange de vue entre le président de la Commission et la délégation du Conseil fédéral, le Brexit et l’accord sur les questions institutionnelles seront sans doute abordés. Londres a récemment annoncé des concessions sur les conditions de sortie de la Grande-Bretagne. En tout état de cause, le Conseil fédéral a évité de lier le sort des pourparlers sur les questions institutionnelles à la négociation du Brexit. La presse a rapporté les vues très personnelles émises par le président Juncker sur la psychologie de la première ministre britannique – en régalera-t-il ses hôtes? Evoquera-t-il aussi l’impact sur la politique européenne du sort incertain où se trouve Angela Merkel, chancelière fédérale d’Allemagne?
Quant aux questions institutionnelles, le président Juncker fera de la pédagogie. La partie suisse veut gagner du temps. L’UE se montrera plus patiente que flexible. Mais nous ferions bien de conclure la négociation tant que Jean-Claude Juncker préside la Commission. Rien ne dit que son successeur sera aussi bienveillant.
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