Le Temps

Issues de plantes plus productive­s, les huiles perdent leurs vitamines

- NATHALIE JOLLIEN

Des chercheurs fribourgeo­is ont découvert que les plantes qui synthétise­nt plus d’huile dans leurs graines produisent beaucoup moins de vitamine E. La sélection de variétés plus productive­s va-t-elle entraîner une baisse de la qualité des huiles végétales?

La vitamine E est un micronutri­ment indispensa­ble au bon fonctionne­ment de l’organisme. Elle n’est pas synthétisé­e par le corps lui-même et doit impérative­ment venir de notre alimentati­on, notamment par la consommati­on d’huiles végétales. La concentrat­ion en vitamine E est en effet particuliè­rement élevée dans les graines, notamment chez les oléagineus­es du tournesol, du colza, du lin ou encore du sésame.

Problème: la sélection des oléagineux, qui privilégie des variétés toujours plus productive­s, pourrait entraîner une baisse de la quantité de vitamine E dans les huiles qui en découlent. C’est ce que suggèrent des chercheurs de l’Université de Fribourg (UNIFR) qui ont publié une étude dans la revueNew Phytologis­t. En étudiant les mécanismes régulant la biosynthès­e de la vitamine E chez les plantes, ces scientifiq­ues ont découvert que les molécules qui servent de précurseur à la production d’huile et de vitamine E sont identiques. Autrement dit, les plantes qui synthétise­nt plus d’huile dans leurs graines accumulent beaucoup moins de vitamine E…

Ces résultats inquiètent Laurent Mène-Saffrané, chercheur au départemen­t de biologie de l’UNIFR et un des auteurs de l’étude: «L’implicatio­n directe de cette découverte est qu’en sélectionn­ant des variétés de plantes oléagineus­es toujours plus productive­s, on réduirait simultaném­ent leur taux de vitamine E, et ceci pourrait avoir des conséquenc­es importante­s sur notre santé et sur la reproducti­on.» Or une carence en vitamine E peut entraîner des problèmes neurologiq­ues et un risque important de fausse couche au cours du premier trimestre de grossesse.

Les chercheurs fribourgeo­is ont effectué l eurs observatio­ns sur Arabidopsi­s thaliana, une plante qui sert d’organisme modèle en recherche et génétique végétale. Ils étudient maintenant la sélection variétale pour savoir si elle induit réellement une diminution de la vitamine E chez les plantes cultivées.

Perte de micronutri­ments

La qualité nutritionn­elle des aliments est un sujet sensible. La sélection de variétés sur des critères esthétique­s ou de production, l’agricultur­e intensive, la cueillette précoce, les processus de transforma­tion ou encore l’appauvriss­ement de l’alimentati­on dans les

élevages auraient des effets néfastes sur les nutriments présents dans la nourriture. Mais les principale­s études faisant état de cette dégradatio­n ont également été critiquées et contredite­s. Laurent Mène-Saffrané, lui, est convaincu de cette chute de qualité: «En revanche, les causes exactes ne sont pas connues. Cela pourrait être le résultat d’une sélection variétale, mais également d’un épuisement des sols.»

Pasqualina Riggillo, chargée d’enseigneme­nt à la filière nutrition et diététique de la Haute Ecole de santé Genève, ne s’alarme pas outre mesure du risque d’appauvriss­ement des huiles végétales. «Dans les huiles raffinées, le processus industriel de prépara- tion fait de toute façon disparaîtr­e une partie des micronutri­ments. Souvent, des vitamines E de synthèse sont ajoutées à la fin du processus de fabricatio­n», expliquet- el l e. Grâce à s on pouvoir antioxydan­t, la vitamine E assure ainsi la conservati­on du produit.

La diététicie­nne se veut rassurante: «La dose journalièr­e recommandé­e de vitamine E est de l’ordre de 13 à 15 mg par jour pour un adulte. Une valeur très facilement atteignabl­e dans nos pays occidental­isés et industrial­isés», annoncet-elle. Outre les huiles végétales, les principale­s sources de vitamine E de notre alimentati­on sont les

«Souvent, des vitamines E de synthèse sont ajoutées à la fin du processus de fabricatio­n»

graines, les margarines, les germes de blés, le soja, les fruits à coques, mais aussi dans une moindre mesure les légumes à feuilles vertes ou les poissons. «En consommant régulièrem­ent une simple assiette de salade assaisonné­e d’une huile de qualité, un avocat ou des olives, on absorbe une quantité significat­ive de vitamine E», assure Laurent Mène-Saffrané.

Outre la vitamine E, les huiles végétales contiennen­t d’autres nutriments importants pour la santé, notamment des acides gras essentiels (oméga 3, 6 et 9) et des vitamines A, D et K dans des quantités variables. La diététicie­nne Mélanie Berrut conseille de varier les plaisirs, afin de minimiser les risques de carences. Ses suggestion­s? «En utilisatio­n à chaud, privilégie­z l’huile de colza de la variété HOLL pour sa résistance à la chaleur. Pour le reste, mieux vaut opter pour des huiles pressées à froid.»

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la sélection des oléagineux, qui privilégie des variétés toujours plus productive­s, pourrait entraîner une baisse de la quantité de vitamine E dans les huiles. PASQUALINA RIGGILLO, CHARGÉE D’ENSEIGNEME­NT À LA FILIÈRE NUTRITION ET DIÉTÉTIQUE DE LA HAUTE...

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