Naissance, épopée et déclin du pionnier suisse de la rotative
Les sociétés d'imprimerie se réorganisent et s'adaptent aux surcapacités dans leur secteur. L'histoire de Wifag, pionnier suisse de la rotative, fait revivre la naissance, l'ascension et le déclin de cette branche mythique de l'industrie suisse des machines. Un ouvrage de la série des pionniers de l'économie suisse revient sur cette épopée ( Gut Gedruckt; Führende Köpfe der Maschinenfabrik Wifag, Schweizer Pioniere der Wirtschaft und Technik, 2017). C'est aussi une formidable description de portraits d'entrepreneurs différents, mais tous aux prises avec la hausse du franc, les crises, le protectionnisme et le besoin d'innover depuis un siècle.
Cette aventure est d'abord l'oeuvre d'un immigré allemand, Carl Winkler, né en 1877 à Dresde. Très tôt fasciné par l'imprimerie, il accumule les expériences dans cette branche et devient représentant d'entreprises de l'industrie graphique. Ce qui l'amène à Berne, où il se marie. Dans la capitale, il ouvre un magasin de vélos afin de participer à l'essor du secteur. Il a toutefois besoin de donner des cours de danse pour arrondir ses fins de mois, avant d'étendre ses services à la réparation de voitures.
Première machine vendue en Argentine
C'est en observant l'augmentation des tirages des journaux que Carl Winkler fonde, en 1904, la société Winkler, Fallert & Cie, qui deviendra Wifag en 1971.
En 1908, elle produit sa première machine d'imprimerie. Elle est destinée à un client argentin. Carl Winkler y séjourne 18 mois pour l'installer. Il manque la naissance de son fils et le décès de sa fille.
La stéréotypie, qui consiste à fabriquer des plaques de moulage en plomb en vue d'imprimer des textes ou des images, est en plein développement. La première machine à fort tirage de Wifag ira à l'imprimerie Concorde à Lausanne, en 1917. Quant à la première rotative, une presse capable d'imprimer en continu une bobine de papier, elle sera livrée à Konsumverein, à Bâle, en 1919.
Les suivantes seront livrées au Petit Méridional, puis au Journal de Genève et au groupe Ringier. En 1925, tous les grands noms de la presse achètent ses rotatives, de LaGazzetta dello Sport en Italie à Casa Arens au Brésil, en passant par Le Soir en Belgique.
Salaires réduits parfois de 50% lors de la crise des années 1930
L'imprimerie est aussi un symbole social. Les conditions de travail y sont dures, comme les mouvements sociaux. Les salariés multiplient les menaces, se soulèvent, font grève, mais ils sont trop peu unis pour imposer leurs revendications. Le marché est d'ailleurs très difficile. Le premier assainissement de Wifag intervient en 1924. Au cours du sursis concordataire, les actionnaires perdent l'ensemble de leur capital. La crise des années 1930 frappe durement. En 1931, les salaires sont réduits parfois de 50%. Carl Winkler porte la responsabilité des malheurs de l'entreprise. En 1932, il est démis de ses fonctions d'administrateur délégué.
La société est reprise en 1941 par Otto Wirz, le symbole de la consolidation et de la modernisation de Wifag, notamment avec le passage au procédé offset. En 1978, 90% des ventes utiliseront ce nouveau type de rotative. Le «Grand Old Man», pour reprendre la presse locale, avait précédemment administré les Chocolat Tobler, en sursis concordataire. Il deviendra également président du club de football Young Boys, administrateur de la Bernoise Assurance et de Spar und Leihkasse Bern.
Les années 1950 sont celles de l'expansion. Les effectifs doublent par rapport à 1940 à plus de 800, puis à presque 1000 collaborateurs au début des années 1990.
Une cheffe d’entreprise en 1987
Ursula Wirz, seul enfant d'Otto et de sa femme Martha, devient vice-présidente du conseil à la mort de son père, en 1976, puis présidente en 1987. A cette époque, l'Allemagne représente 60% des affaires de la société. Il est vrai que le gouvernement de François Mitterrand ne garantit les crédits que pour l'achat de machines françaises.
Durant les années 2000, la détérioration du marché des journaux ainsi que les fusions et la domination des grands groupes de machines allemands pénalisent de plus en plus le fabricant suisse malgré ses efforts d'innovation. Ursula Wirz décède en 2007. Wifag restructure puis décide de mettre fin à la dernière fabrique de rotatives du pays. L'entreprise se limite alors aux services. Polytype, à Fribourg, reprend les collaborateurs de Wifag à Berne.
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