Coupe de l’America, la révolution par les monocoques
L’abandon des catamarans au profit de bateaux monocoques faisait redouter aux navigateurs un pas en arrière dans l’épopée technologique de la discipline. Révolutionnaire, le concept dévoilé lundi balaie ces craintes
Team New Zealand a pris le monde de la voile par surprise. D’abord parce que le vainqueur de la dernière Coupe de l’America a révélé les détails du bateau prévu pour la prochaine édition lundi, dix jours plus tôt que prévu. Ensuite – et surtout – parce que les caractéristiques et les images de l’AC75 balaient toutes les craintes d’un pas en arrière dans le développement de la discipline. Au contraire: le voilier va «repousser les limites de la technologie et ouvrir notre sport à de nouveaux horizons», s’enthousiasme Mark Orams, vainqueur de la compétition en 2000, dans un texte publié par The New Zealand Herald.
Nombreux étaient ceux, pourtant, qui redoutaient les conséquences de la victoire de Team New Zealand lors de la 35e Coupe de l’America, en juin dernier aux Bermudes. Dans cette épreuve mythique où le gagnant choisit les conditions de la défense de son titre (bateau, lieu, règlement), les Kiwis avaient clairement laissé entendre que, s’ils en avaient l’occasion, ils opteraient pour un retour aux monocoques après trois éditions creusant le sillon des catamarans à foils (ces appendices qui permettent aux voiliers de planer au-dessus de la surface de l’eau).
Pour eux, la voile sacrifiait sur l’autel de l’innovation une partie de son âme en éloignant sa compétition phare de la pratique traditionnelle. Impossible pour un régatier non professionnel, même confirmé, de s’imaginer à bord d’une de ces Formules 1 des mers où plusieurs membres de l’équipage se muent en cyclistes. Ce n’était plus seulement du très haut niveau, mais un sport différent.
Monocoques volants
La position était loin de faire l’unanimité. «On ne peut pas revenir en arrière, plaidait en juin dans Le Temps Ernesto Bertarelli, double vainqueur de la Coupe de l’America avec Alinghi en 2003 et 2007. Tous les marins du monde ont envie de naviguer sur ces multicoques volants. […] La nostalgie des manoeuvres n’a pas lieu d’être car ralentir artificiellement les bateaux n’a pas de sens. Il faut regarder vers l’avant.»
Les ingénieurs de Team New Zealand ont retenu l’idée, tout en effectuant un pas de côté. Les catamarans, c’est non; mais l’innovation, c’est un grand oui. L’AC75 sera un voilier monocoque de 75 pieds (22,86 mètres), imposant par rapport aux bateaux de 45 à 50 pieds utilisés en 2017, qui n’aura pas de quille mais deux foils basculants. Ces pièces permettront à la fois une excellente maniabilité dans les petits airs et une vitesse impressionnante une fois en vol.
«Les simulations montrent que le voilier pourra être plus rapide que les catamarans utilisés jusqu’ici dans certaines conditions. Une évolution incroyable», juge le concepteur naval vaudois Christian Favre, proche d’un ingénieur qui a travaillé au développement du bolide.
Pour lui, l’AC75 est «un cata déguisé en monocoque, avec ces foils très extérieurs qui lui donnent la stabilité d’un multi» tout en ayant une coque très aérodynamique. «Nous voulions voir jusqu’où nous pouvions pousser les performances d’un yacht monocoque qui puisse voler et qui soit intéressant à naviguer autant qu’à voir en duel, développe le designer Dan Bernasconi, cité dans le communiqué officiel. Nous nous réjouissons vraiment de le voir sur l’eau.»
«Ceux qui escomptaient un retour à la voile du passé doivent être déçus, reprend Christian Favre. Ce bateau, c’est un coup de maître. Il défriche des territoires inédits. C’est ça, la Coupe de l’America: un perpétuel renouveau qui donne des idées à tout le monde.» Jusqu’à inciter Ernesto Bertarelli à se remettre en piste? Christian Favre rigole: «En tout cas, cela doit le titiller…»
La presse spécialisée avance que l’entrepreneur suisse songerait
Ernesto Bertarelli sera-t-il incité à se remettre en piste? Le concepteur naval vaudois Christian Favre rigole: «En tout cas, cela doit le titiller…»
sérieusement à son retour, mais rien n’est officiel. Contacté par Le Temps mardi matin, Alinghi renvoie à des déclarations publiées fin septembre: «Maintenant que le protocole régissant la 36e Coupe de l’America a été publié, nous allons l’étudier et en peser avec attention les pour et les contre et nous déciderons dans les mois à venir, une fois notre saison de régates terminée, si son contenu correspond à l’ADN de notre équipe et à nos ambitions pour le futur.»
Apprivoiser la révolution
Les challengers désireux de défier Team New Zealand pourront s’annoncer dès début 2018, tandis que la jauge officielle compilant les caractéristiques définitives à respecter pour les bateaux sera finalisée au 31 mars 2018. Les challengers s’affronteront lors de régates préliminaires dès mi-2019 puis ils se départageront entre janvier et février 2021. La Coupe de l’America elle-même aura lieu le mois suivant à Auckland.
D’ici là, il s’agira d’apprivoiser des voiliers véritablement révolutionnaires, où les manoeuvres traditionnelles s’additionneront à des vitesses de pointe inédites. «Ce qu’il y a de très positif, c’est que la sécurité des membres de l’équipage sera renforcée par rapport à la dernière édition, glisse Christian Favre. Heureusement, il n’y avait pas eu d’accident, mais la configuration des bateaux présentait des risques…»
Par contre, l’apprentissage pourrait être mouvementé, prévient Mark Orams: «Il faut s’attendre à un carnage. Les ruptures et les accidents seront monnaie courante jusqu’à ce que les défis de conception et d’ingénierie aient été gagnés.»
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