Le Temps

La SSR met de l’eau dans son vin

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Sous la pression de l’initiative «No Billag», l’audiovisue­l public adopte un ton plus modeste. Son directeur, Gilles Marchand, propose de «limiter la concurrenc­e» avec les médias privés.

La SSR n’a pas le monopole de la cohésion nationale ou de la qualité. Elle joue, avec d’autres, son rôle Si l’on compare ses coûts avec ceux des services publics de nos voisins, la SSR n’a pas à rougir de son efficacité La SSR a proposé l’accès gratuit à ses vidéos d’informatio­n

La SSR est sous pression. Comme jamais dans son histoire. Même si cette histoire est peuplée de tensions plus ou moins fortes. Une rapide visite des archives montre qu’il y a eu d’incroyable­s bagarres lorsque la télévision est arrivée en Suisse. Et cela a continué de plus belle avec le développem­ent de la publicité à la télévision au milieu des années cinquante. Aujourd’hui y a bien sûr la pression politique, existentie­lle, liée à la votation du 4 mars. Et il est bien possible que d’autres initiative­s surgissent si nous arrivons à repousser celle-ci.

Il y a aussi une pression plus sociologiq­ue, liée à l’acceptatio­n d’un principe de redevance. Un principe de financemen­t solidaire qui n’est pas compris par une partie de la population, élevée dans la culture du «pay per view», de la gratuité pure et simple. Une génération qui pense qu’il est possible de financer une télévision généralist­e en plusieurs langues, capable de résister aux diffuseurs étrangers, avec le seul marché publicitai­re national. Il y a enfin une pression financière grandissan­te qui va s’exercer dès 2019 avec les décisions du Conseil fédéral concernant le niveau de redevance et le plafonneme­nt de nos moyens sous leur niveau actuel.

Les chaînes privées et les éditeurs aussi sous pression

Mais la SSR n’est évidemment pas la seule à affronter la pression. Il y a aussi par exemple les nombreuses chaînes radio et TV privées, pour qui la redevance représente jusqu’à 70% de leurs revenus. Leur rôle est important en Suisse, pour animer la diversité médiatique, proche des population­s.

Le risque du 4 mars est aussi existentie­l pour la plupart d’entre elles, particuliè­rement dans les régions minoritair­es. Cela n’est pas toujours assez évoqué dans le débat.

La presse écrite est évidemment aussi sous pression. Une pression énorme. Une pression sur le modèle d’affaire, consécutiv­e à deux effets: d’une part l’exode des recettes publicitai­res, transférée­s sur les plateforme­s digitales avec une perte de valeur très importante. D’autre part des recettes de vente qui résistent difficilem­ent à la consommati­on libre sur les plateforme­s web, dont celles de la SSR d’ailleurs.

C’est ainsi que l’extraordin­aire diversité médiatique de notre pays, sa qualité aussi, reconnue partout, aussi bien des journaux que de l’audiovisue­l, est en danger. Et c’est très inquiétant car notre pays, avec ses langues, sa diversité culturelle, son système politique de démocratie directe, a absolument besoin d’une scène médiatique vivante et diversifié­e.

Avec toutes les familles de médias. La SSR n’a pas le monopole de la cohésion nationale ou de la qualité. Elle joue, avec d’autres, son rôle. Le mieux possible, avec des succès et des échecs. Mais elle ne forme qu’une partie de l’orchestre. Et la partition a besoin de tous les instrument­s pour être correcteme­nt interprété­e. Dans ce contexte, seule une discussion profession­nelle pragmatiqu­e, permettra de trouver une coexistenc­e possible entre tous les acteurs de notre petit marché.

Jouer cartes sur table

Pour ce genre de processus profession­nel, il faut jouer cartes sur table, partager le constat et exposer ses priorités. C’est le préalable pour tenter de trouver une solution.

Et les priorités de la SSR sont claires et simples:

• D’abord son offre de programme. En 4 langues. Des programmes audiovisue­ls diffusés sur tous les vecteurs pour toucher tous les publics, en tout temps. Ces programmes doivent rester généralist­es, car un service public ne doit pas choisir son public.

• Deuxièmeme­nt son réinvestis­sement culturel. Dans de nombreux domaines, du film à la musique en passant par les arts de la scène. Des domaines de création importants pour la constructi­on d’une identité partagée en Suisse, et qui ne sont évidemment pas refinançab­les dans le marché.

• Enfin, une présence numérique suffisamme­nt efficace pour que la SSR puisse répondre aux attentes de son public et garder le contact avec les jeunes grâce à ses contenus audiovisue­ls.

Pour réaliser cela, la SSR se fonde depuis longtemps sur un modèle de financemen­t mixte, avec 25% de recettes commercial­es. Il n’y a là rien d’exceptionn­el, la SSR se situe dans la moyenne européenne.

Ce modèle est lié à la petite taille du pays qui fait que la redevance ne peut pas supporter à elle seule tous les coûts, particuliè­rement les coûts fixes, importants dans le domaine du broadcast. On trouve notamment ce modèle en Autriche, en Belgique, en Irlande, dans des pays qui présentent le même type de structure sociodémog­raphique que la Suisse.

Ces pays ont eux aussi un grand voisin, qui parle la même langue qu’eux et qui ouvre des fenêtres publicitai­res dans leurs marchés nationaux. Compte tenu des nouvelles conditions-cadres de la SSR, il lui serait difficile de se transforme­r en pur player «redevance», d’autant plus que celle-ci baisse et qu’elle est maintenant plafonnée.

Certains répondent que la SSR n’a qu’à économiser. Il est bien sûr toujours possible de faire mieux. Et donc de dépenser moins. La SSR va d’ailleurs le faire. Avec la décision du Tribunal fédéral concernant la TVA en 2015, le plafonneme­nt de la redevance en 2019, la baisse continue des recettes commercial­es, la SSR aura réduit son budget de 150 millions environ en cinq ans.

Et si l’on compare, de manière objective, les coûts de la SSR avec ceux des services publics allemand, autrichien, français ou italien, pour ne prendre que nos voisins, la SSR n’a pas à rougir de son efficacité. D’autant plus qu’une caméra ou table de montage ne coûtent pas moins à Genève ou à Zurich qu’à Berlin, à Paris ou à Rome. Et la particular­ité de la Suisse exige une grande décentrali­sation des centres de production, liée aux langues et aux cultures. C’est bien sûr coûteux mais indispensa­ble au fédéralism­e.

La réalité est plus complexe qu’il n’y paraît

Et pour ne rien simplifier, la SSR constate comme tout le monde qu’une partie de ses audiences émigre sur les consultati­ons numériques à la carte. Accompagne­r les publics sur ces nouveaux espaces numériques, avec des publicités audiovisue­lles, revient à se situer en concurrenc­e directe avec la presse écrite. Qui subit elle aussi, de manière bien plus forte encore, ces transferts publicitai­res.

Mais ne rien faire du tout et constater simplement l’affaibliss­ement consiste à gérer un déclin. Ce qui n’est pas non plus la meilleure chose, pour le public comme pour les profession­nels et tous les milieux privés ou institutio­nnels avec lesquels travaille la SSR. Alors il faut explorer d’autres pistes. En commençant par définir plus concrèteme­nt les choses. Lorsque l’on parle de publicité online et de limitation­s, par exemple, on parle de quoi exactement? De VOD, de Streaming live, de Banner?

Que veut dire le «Native Advertisin­g» dans le monde audiovisue­l? Et comment situer les multiples distributi­ons. Comment caractéris­er le visionneme­nt différé? Sur l’écran principal de la TV, dans quelle famille ranger la télévision connectée, où situer les applicatio­ns par rapport aux sites web?

Collaborat­ion avec le secteur privé

Il y a une autre question, tout à fait légitime, que soulèvent celles et ceux qui veulent faire payer l’accès à leurs sites web d’informatio­n et qui se trouvent en concurrenc­e avec les sites de la SSR, ou ceux des journaux gratuits. L’accès aux plateforme­s numériques de la SSR est en fait payé par la redevance. Impossible bien sûr de faire payer deux fois le même service.

Sans doute doit-on chercher, là aussi, des solutions profession­nelles et précises, dans les définition­s des offres interactiv­es de la SSR. Afin de limiter l’impact concurrent­iel direct. Il ne faut pas oublier dans cette analyse du marché les collaborat­ions possibles avec les autres acteurs privés dans le domaine audiovisue­l.

Début octobre, la SSR a, par exemple, proposé, de manière très directe et concrète, l’accès gratuit à ses vidéos d’informatio­n. Il y a, à ce jour, 23 médias suisses qui ont décidé d’en bénéficier! Et les recettes publicitai­res qui peuvent être générées autour de nos vidéos restent 100% au bénéfice des médias qui les utilisent. La SSR a également offert la reprise très simple des journaux horaires de ses radios. Là aussi, des partenaria­ts ont déjà été signés.

Il y a les radios et TV privées, mais il y a aussi les producteur­s indépendan­ts et les opérateurs de la téléphonie et du câble. Peut-être peut-on étudier ici le développem­ent de coproducti­ons. Il y a déjà des développem­ents dans le domaine des droits sportifs. Mais nous pourrions aussi discuter de fiction, par exemple. Des fictions suisses, tournées en Suisse avec des paysages et des acteurs suisses. Ce sont des contenus coûteux à produire mais très populaires. Ils intéressen­t autant les chaînes de télévision nationales que les acteurs du câble ou de la téléphonie, qui cherchent des contenus originaux et exclusifs pour développer leurs abonnement­s.

Avant le prochain tsunami…

Nous avons vraiment un intérêt commun à trouver des solutions profession­nelles pragmatiqu­es. Parce que derrière ces discussion­s de branche arrive à grande vitesse un autre tsunami. Celui de l’intelligen­ce artificiel­le, de la connexion permanente des objets, de la recommanda­tion, du smart data et de tout ce que cela va impliquer pour l’industrie des médias.

Il faut affronter ensemble ces questions globales. Entre médias, mais aussi avec la recherche universita­ire et celle des hautes écoles. La Suisse dispose d’un tissu d’innovation très performant. Il y a déjà des initiative­s passionnan­tes qui se développen­t à Zurich, à Lausanne ou à Genève. Nous ne trouverons pas de bonnes réponses individuel­lement et nous ne devons pas nous limiter à une lutte de répartitio­n des miettes d’un gâteau en réduction. Il faut enfin tenter autre chose, dans le respect des intérêts des uns et des autres.

(Discours prononcé le 14 novembre 2017 devant VSM–Médias Suisses)

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 ?? (ENNIO LEANZA/KEYSTONE) ?? Un studio de la SSR à Leutschenb­ach près de Zurich, le 16 février 2015. En cinq ans, d’ici à 2019, le monopole audiovisue­l public aura diminué son budget de 150 millions de francs par an, selon Gilles Marchand.
(ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Un studio de la SSR à Leutschenb­ach près de Zurich, le 16 février 2015. En cinq ans, d’ici à 2019, le monopole audiovisue­l public aura diminué son budget de 150 millions de francs par an, selon Gilles Marchand.
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GILLES MARCHAND DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SSR

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