La mort fait de l’audience
C’est tabou. Donc les réseaux sociaux en sont friands. Réceptacle de tous les maux des mortels, ils font figure à la fois de faire-part, de couronne de fleurs et même de mise en terre précoce
Etait-ce vraiment écrit de sa plume? Mardi matin, ses amis apprenaient que cette personnalité romande les aimait. Mais ils apprenaient aussi qu'elle allait mourir. Le message était publié sur Facebook et a valu de nombreux commentaires de soutien. Dans l'après-midi il avait disparu, emportant voeux et encouragements dans l'univers de l'oubli et laissant les amis virtuels dans le doute, obligés, peut-être, de s'emparer d'un téléphone.
Nous sommes tous égaux face à la mort, malgré le sentiment d'injustice qu'elle peut parfois occasionner. Au-dessus de chacune de nos têtes, elle se tient, là, prête. Mais nul ne connaît le jour, ni l'heure. La mort fait fatalement partie de nos vies. Et dans la vie, la vraie, on la redoute. Tout le monde le sait.
Mais, sur les réseaux, c'est différent. On la commente, on la retwitte. En clair, la Grande Faucheuse fait le buzz. C'est pourtant intime. Avant, on envoyait un faire-part, on répondait par une lettre, ou quelques fleurs. On avait une petite attention, peut-être. Avant, on choisissait aussi de consacrer une minute de silence au défunt. Maintenant, ceux qui ont les réseaux pour réflexe lui préfèrent l'audience.
Poster un commentaire constitue, pour certains, une façon symbolique de rendre hommage au défunt. «Bon voyage Mamie», écrivait une internaute sur Facebook. «Tu as été une magnifique mamie, une leçon de vie […]. Repose en paix et j'espère que tu as rejoint papy et tous les autres qui t'attendent là-haut je ne sais où. […]» Nul ne sait si la disparue entend mieux le message lorsqu'il est déclamé à l'église ou écrit sur une page Facebook. Mais ce qui est certain, c'est que, sur les réseaux, les soutiens sont plus prompts et manifestes.
Rendre hommage: les réseaux en sont friands. Tant et si bien qu'ils témoignent parfois d'un certain empressement. Combien de fois Johnny Hallyday est-il déjà mort sur la Toile? Combien de fois ses fans ont-ils pleuré sa disparition? Combien de cierges ont déjà été brûlés pour lui? La dernière fois, c'était ce 28 septembre. La star française est morte et a ressuscité dans la foulée, à la suite d'une publication relayée aussitôt par France Bleu et réfutée peu après.
Le dernier en date à avoir vu son jour venu sur la Toile est Milan Kundera. Dans la réalité, l'écrivain tchèque buvait, peinard, un bon verre de bordeaux. Mais, sur Twitter, un faux compte créé au nom du nouveau Prix Goncourt, Eric Vuillard, accumulait les «followers». Puis il s'est transformé en compte @GallimardNews, toujours aussi faux, pour lâcher un tweet annonçant le décès de l'auteur de L’Insoutenable Légèreté de l’être.
Coup de sang. Ces nouvelles sur les réseaux ont l'effet d'une alarme incendie en plein sommeil. Son verre de vin était à peine terminé que déjà en quelques tweets, clics et commentaires, Kundera était enterré. Et la nouvelle faisait le tour du monde.
Et pour avoir raison de la mort virtuelle, il a fallu des témoins du réel. C'est Manuel Valls qui s'est notamment manifesté: «N'importe quoi!!! Je viens de parler avec lui. Et parler à un mort n'est pas un privilège d'ancien premier ministre.»
Bam. Retour sur terre. Les mortels actifs sur la Toile sèchent leurs larmes en apprenant qu'un journaliste italien du nom de Tommasso Debenedetti est à l'origine de la farce. Son objectif, dévoilé par la RTBF, est le suivant: dénoncer les «points faibles» des médias et «montrer que Twitter est devenu une agence de presse… la moins fiable du monde».
La mort ne doit pas être un tabou. Certains le diront. Et pourtant, on la scrute avec méfiance. On en a peur et on la respecte. Dans l'imaginaire occidental, il est d'usage de la représenter par un être mystérieux vêtu d'une vaste toge noire à capuche et muni d'une grande faux. Sur les réseaux, invitée d'honneur, elle semble être en nuisette.