«La posture classique du professeur va disparaître»
Ariane Dumont est conseillère pédagogique à la HES-SO. Elle enseigne aussi au niveau du bachelor à la HEIG-VD. Elle milite pour la «classe inversée» pour redonner du sens à la présence en classe
Pensez-vous que l’éducation sera bouleversée par le numérique? Oui absolument. La posture académique classique du professeur va disparaître. Les salles de classe où les étudiants prennent des notes et régurgitent ce qu’ils ont appris lors de l’examen sont des modèles qui ne fonctionnent plus. Un véritable changement de paradigme est en train d’opérer. Cette transformation de l’éducation est induite par les étudiants eux-mêmes, les «digital natives», conduits par une quête de sens et une notion de plaisir. Nous passons petit à petit du modèle où l’enseignant est tout-puissant sur son estrade à celui où il devient un coach, un «éveilleur» de l’apprentissage.
Concrètement, que peut proposer l’enseignant?Aujourd’hui, grâce à la technologie, il est possible d’accéder à différents cours et ressources pédagogiques en ligne, parfois de grande qualité. Et les étudiants le savent. L’enseignant doit proposer des plateformes et des moyens technologiques leur permettant d’accéder à ces ressources externes. Je considère aujourd’hui l’enseignant comme un orchestrateur ou un accompagnateur. Même les professeurs qui ont toujours fonctionné sur un modèle très classique vont être amenés à devoir se remettre en question.
Perçoit-on déjà ces changements à la HES-SO? Absolument. Nous avons par exemple déjà mis en place la classe inversée. La partie transmissive du cours est externalisée pour redonner du sens à la présence en classe. Ou encore, nous avons intégré des «serious games» dans l’enseignement. Il s’agit d’une méthodologie qui permet d’aborder différentes disciplines sous une forme ludique. Les étudiants, derrière leur écran, mettent en pratique leurs cours théoriques pour marquer le plus de points possibles. En fonction des scores obtenus, le professeur pourra savoir ce qui a été assimilé par un étudiant et à quel rythme. Les plateformes en ligne ont également le vent en poupe. Une salle de classe BYOD, pour «bring your own device», permet aux étudiants de travailler avec leurs tablettes ou leurs ordinateurs.
A quoi ressemble cette salle? Cette salle est munie d’écrans géants sur chacun des murs. Si vous entrez dans une telle classe, vous ne saurez pas où se trouve le professeur. Il n’y a plus de pupitre, ni d’estrade. Tous les postes de travail sont sur roulettes pour organiser le travail de collaboration entre les étudiants.
Vous avez travaillé à Harvard dans le groupe d’innovation pédagogique du professeur Eric Mazur, considéré comme le père de la classe inversée. Que se passe-t-il dans ce concept de classe inversée? On demande aux étudiants de préparer un travail un amont, souvent avec des vidéos en ligne ou d’autres matériels pédagogiques plus classiques. Rappelons que la technologie est un support mais pas un but en soi. Pendant le cours, l’étudiant est préparé et nous pouvons entrer dans le vif du sujet. On partage, on essaie de voir quels sont leurs problèmes, on encourage le travail collaboratif. L’enseignant a plus de temps pour connaître ses étudiants. Je remarque que plus nous introduisons les EdTech dans l’enseignement, plus nous renforçons, en parallèle, les relations humaines.
«Plus nous introduisons les EdTech dans l’enseignement, plus nous renforçons, en parallèle, les relations humaines»