Le Temps

Le premier médicament connecté autorisé aux Etats-Unis

- PAUL BENKIMOUN (LE MONDE) @PBenkimoun

Abilify MyCite, traitement indiqué dans les troubles psychiatri­ques, intègre un capteur qui signale quand il a été ingéré par le patient

Le premier médicament à prise orale dont les comprimés intègrent une puce qui signale qu’ils ont bien été pris s’est vu accorder aux EtatsUnis une autorisati­on de mise sur le marché (AMM), a annoncé le 13 novembre l’agence américaine chargée du médicament, la Food and Drug Administra­tion (FDA). Ayant pour principe actif l’aripiprazo­le, ce produit commercial­isé par le laboratoir­e japonais Otsuka a pour indication­s reconnues le traitement de la schizophré­nie, celui des épisodes aigus associés aux troubles bipolaires et le complément du traitement de la dépression chez l’adulte. Cette technologi­e soulève des questions éthiques sur le contrôle des données recueillie­s.

Oxydo-réduction

Les patients qui consentira­ient à la prescripti­on de cet antipsycho­tique connecté suivront leur traitement à la trace par un procédé astucieux. Chaque comprimé contient un capteur fait de cuivre, de magnésium et de silicium qui sera éliminé par voie digestive. Une fois au contact des sucs gastriques, la puce subit une réaction d’oxydo-réduction. Elle fonctionne comme une batterie: elle émet un signal capté par un patch collé sur les côtes du patient. Le patch transmet par Bluetooth les informatio­ns recueillie­s à une applicatio­n sur le smartphone du patient. Ce dernier décide qui, parmi son médecin et ses proches, a accès aux informatio­ns, qui seront stockées sur un serveur sécurisé.

«Etre capable de tracer l’ingestion de médicament­s prescrits pour des maladies mentales peut être utile chez certains patients, a commenté le docteur Mitchell Mathis, directeur de la division des produits psychiatri­ques au Centre d’évaluation et de recherche sur les médicament­s de la FDA, dans un communiqué de l’agence. La FDA soutient le développem­ent et l’utilisatio­n d’une nouvelle technologi­e dans les médicament­s sur ordonnance et s’engage à travailler avec les entreprise­s pour comprendre comment la technologi­e pourrait bénéficier aux patients et aux prescripte­urs.»

La FDA a toutefois souligné que «la capacité du produit à améliorer la manière dont les patients se conforment à leur schéma thérapeuti­que n’a pas été démontrée». Elle met également en garde sur «une utilisatio­n en temps réel ou en situation d’urgence du traçage de l’ingestion du produit, car la détection peut être retardée ou ne pas avoir lieu».

Pour son nouveau produit, Otsuka a fait du neuf avec du vieux. Il avait obtenu en 2002 l’AMM américaine dans l’indication de schizophré­nie pour l’aripiprazo­le, qu’il avait commercial­isé sous le nom d’Abilify. Les ventes florissant­es de 2011 à 2013 s’élevaient entre 5 et 6 millions de dollars par an aux Etats-Unis avant de décroître de plus en plus rapidement jusqu’en 2015, année où le brevet d’Otsuka a expiré. De nombreuses formes génériques sont alors apparues sur le marché, à un prix nettement inférieur.

Le laboratoir­e Otsuka avait pris les devants avec Abilify Maintena, une forme injectable en intramuscu­laire une fois par mois, autorisée aux Etats-Unis en 2013, et l’année suivante par l’Agence européenne des médicament­s. En parallèle, l’industriel japonais a travaillé pendant plusieurs années avec la firme de la Silicon Valley Proteus Digital Health afin de mettre au point son comprimé connecté, Abilify MyCite.

En 2015, le laboratoir­e a sollicité une autorisati­on de la FDA pour cette nouvelle forme de comprimé. L’agence a demandé au laboratoir­e des tests supplément­aires pour évaluer l’efficacité, la sécurité et le caractère pratique de ce produit d’un type particulie­r. La nouvelle demande d’AMM a été présentée et acceptée en 2017.

«C’est un système à la fois simple et sophistiqu­é, réagit le professeur François Chast, chef du service de pharmacolo­gie clinique à l’hôpital Necker (AP-HP, Paris). Conceptuel­lement, c’est génial. Le traitement médicament­eux de toutes les pathologie­s chroniques est problémati­que, et nous savons que l’observance n’est que de l’ordre de 50%, surtout pour celles qui ne s’accompagne­nt pas de symptômes inquiétant­s. Disposer d’un outil impartial de suivi est donc positif. En revanche, il suscite beaucoup de questions éthiques sur la relation patient-médecin-médicament.»

Chercheur à la fondation FondaMenta­l (Créteil), le psychiatre Guillaume Fond observe qu’«il faut anticiper les réactions des patients». «Cette nouvelle présentati­on peut résoudre les situations où le patient refuse les injections. Je suis néanmoins sceptique quant à son intérêt car il faudra montrer que le comprimé connecté sera aussi efficace pour un bon suivi du traitement, que des patients le préfèrent à d’autres présentati­ons et que son coût encore inconnu ne sera pas prohibitif», ajoute-t-il. Pour démontrer l’intérêt thérapeuti­que d’Abilify MyCite, le professeur Chast estime nécessaire une étude qui le comparerai­t à un suivi du traitement par des marqueurs cliniques et biologique­s.

Directeur médical du réseau santé mentale du Jura bernois-BienneSeel­and, le psychiatre français Yann Hodé n’est «pas convaincu de l’intérêt» du nouveau médicament antipsycho­tique. «La forme injectable à libération prolongée a l’avantage de la certitude de la prise – c’est le médecin qui injecte –, de la stabilité pharmacolo­gique et, en cas d’interrupti­on du traitement, d’entraîner un arrêt plus doux qu’avec la forme orale», estime-t-il.

Sur le plan éthique, concernant la sécurité et l’accès aux données ainsi collectées, les avis divergent. L’industriel et son partenaire, Proteus, insistent sur le fait que le patient décide à qui il donne accès à ses données et qu’il peut retirer cette autorisati­on à tout moment. Le docteur Fond estime qu’il n’y a ni plus ni moins de problèmes qu’avec la forme injectable, qui requiert également le consenteme­nt du patient. De son côté, le docteur Hodé s’inquiète du «risque de voir des assureurs menacer de remettre en question leurs remboursem­ents si le patient ne prouve pas qu’il a pris systématiq­uement son traitement».

Otsuka attend de voir la réaction d’assureurs privés avant de décider s’il déploie à grande échelle Abilify MyCite aux Etats-Unis. Différents projets utilisent des capteurs ingérables. En 2010, le laboratoir­e Novartis avait annoncé des projets utilisant la technologi­e de capteur développée par Proteus, mais n’a pas encore proposé de médicament l’intégrant. Le Wall Street Journal évoque ainsi les tests d’un dispositif ingérable enregistra­nt la fréquence à laquelle une personne mange, mis au point par les chercheurs de l’Université Harvard et du MIT.

Une pilule d’Abilify MyCite, ici connectée à une tablette. Cette technologi­e soulève des questions éthiques sur le contrôle des données recueillie­s

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(PROTEUS-SYSTEM)

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