Les projets en déshérence de Pékin
La Chine multiplie les projets d’infrastructure en Asie, dans le cadre de son initiative One Belt One Road. Mais cela ne profite guère aux pays où ils sont déployés
L'aéroport international Mahinda Rajapaksa reçoit une douzaine de passagers par jour. Il peut pourtant en accueillir jusqu'à un million par an. Il est si peu utilisé que certains de ses terminaux sont loués à des paysans pour qu'ils y entreposent leur riz. La ville de Hambantota, située à 240 kilomètres de la capitale sri-lankaise, Colombo, abrite également un stade de criquet de 35000 places perpétuellement vide, un port en eau profonde qui a coûté 1,5 milliard de dollars à construire mais n'attire presque pas de navires et une autoroute plus fréquentée par les éléphants que par les voitures.
«La région de Hambantota se trouve au milieu de la brousse, elle est très peu peuplée, explique Amantha Perera, un journaliste et académicien local. Et le Sri Lanka est un petit pays, les passagers et les navires préfèrent utiliser les infrastructures de Colombo.»
Ces investissements sont l'oeuvre de la Chine. Ils font partie de l'initiative One Belt One Road (OBOR, ou nouvelle Route de la soie), un ambitieux projet qui a pour but de relier l'Empire du Milieu à l'Europe par la route et à l'Asie du Sud-Est et l'Afrique par la mer. Le long de ces voies, censées raviver l'ancienne Route de la soie, la Chine construit des ports, des routes, des voies ferrées et des réseaux de télécommunications. Mais une bonne partie de ces projets sont des «éléphants blancs» qui profitent peu à la population locale.
Construction d’un corridor économique
Au Pakistan, Pékin s'est lancé dans la construction d'un corridor économique qui va relier le Xinjiang, une province tout à l'ouest du pays, avec Gwadar, au bord de l'océan Indien. Devisé à 62 milliards de dollars, il comprend des centrales électriques, un pipeline, des routes, une zone de libre-échange et un port. Ce dernier n'accueille pas plus de trois ou quatre navires par mois, bien en deçà de ses capacités.
Les emplois promis aux locaux ne se sont pas non plus matérialisés. «La plupart des entreprises de construction sont chinoises et elles importent leurs propres travailleurs, même pour les postes les moins qualifiés», relève Christopher Balding, un professeur d'économie à la HSBC Business School de Shenzhen. Cela leur coûte moins cher.
En Birmanie, la Chine a lancé la construction d'un grand port et d'une zone économique spéciale, sur la baie du Bengale, pour un coût de 7,2 milliards de dollars. «Cela a débouché sur le relogement forcé de plusieurs dizaines de milliers d'habitants», note Sampa Kundu, chercheuse dans un think tank indien.
Etats redevables à Pékin
Les pays qui ont bénéficié des projets chinois se sont aussi endettés jusqu'au cou. «Leur financement s'est fait à coups de prêts concédés par Pékin au prix du marché, souligne Christopher Balding. Certains Etats, comme le Pakistan, se sont retrouvés à deux doigts de la faillite à plusieurs reprises ces dernières années en raison de ces emprunts.» Le Sri Lanka doit 8 milliards de dollars à Pékin, précise Amantha Perera.
Parfois, les entreprises chinoises se muent carrément en exploitants des structures qu'elles ont fait sortir de terre. «Elles vont opérer le projet durant les 30 ou 40 premières années, en touchant tous les revenus qui y sont associés, avant de le remettre au pays dans lequel il se trouve», explique Joshua Yau, un expert de la Chine chez PricewaterhouseCoopers. Des sociétés chinoises détiennent ainsi 70% des ports construits en Birmanie et au Sri Lanka.
Ecouler les surplus chinois
Si les pays où se trouvent les projets liés à OBOR n'en profitent guère, Pékin y trouve en revanche son compte. «Le port bâti en Birmanie est assorti d'un pipeline qui permet à la Chine d'importer du pétrole depuis le Moyen-Orient en évitant le détroit de Malacca», détaille Sampa Kundu. De même, le pipeline qui part du port pakistanais de Gwadar, à proximité du détroit d'Ormuz, alimentera l'ouest du pays en or noir.
Plus prosaïquement, OBOR permet à la Chine d'écouler le surplus de matériaux (acier, ciment) produits par ses usines et de générer de l'emploi pour ses travailleurs. Les nouvelles voies de transport vers l'Europe et l'Afrique faciliteront pour leur part l'exportation des biens «made in China».
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