Zimbabwe, la liesse et l’espoir
Le despote est tombé! Mais la succession s’accompagne déjà d’énormes incertitudes sur l’avenir d’une nation ruinée, comme le soulignent la presse et les réseaux sociaux
«C’est notre deuxième indépendance.» Le départ de Robert Mugabe a été accueilli par des scènes de liesse populaire à Harare. L’ancien vice-président Emmerson Mnangagwa a été désigné comme son successeur à la tête du pays. Une vague d’espoir gagne le Zimbabwe, qui tourne une page de 37 ans. Mais ce départ fait naître les convoitises des investisseurs, occidentaux ou chinois, qui attendaient la mort du vieux dictateur pour se jeter sur les ressources du pays, notamment minières.
Des concerts de klaxons et des hurlements. La capitale du Zimbabwe a célébré, ce mardi puis une bonne partie de la nuit, la chute tant attendue du président Robert Mugabe, laissant éclater sa joie et criant ses espoirs en ce nouveau «jour d’indépendance».
«A l’aube d’une nouvelle ère», titre le journal de Harare The
Herald, désormais libéré de son inféodation au pouvoir et dont les internautes, dans leurs commentaires, ont remarqué le virage à 180 degrés, écarquillant les yeux devant la fustigation de ces «erreurs du passé, surtout celles de ces dernières années»: «Le Zimbabwe s’est une fois de plus révélé être une nation extrêmement unie et dotée d’un moral exceptionnellement élevé.»
Lâché par tous
Le pays entame en effet un nouveau chapitre de son histoire au lendemain de la démission de son despote, qui régnait d’une main de fer sur ce pays d’Afrique australe depuis l’indépendance, mais qui a été lâché par son armée et son parti après que le dirigeant eut tenté de placer son épouse, Grace Mugabe, en première ligne de sa succession. Ce qui a précipité la capitulation du satrape.
Celui-ci «s’est tellement accroché au pouvoir qu’il a ruiné l’économie du pays», indique le Diario
de noticias portugais. Il n’avait donc «plus le choix», il était «trop isolé», explique une analyse du quotidien officiel The Zimbabwean, dont un lecteur s’amuse du fait qu’«Harare n’ait été prise», très pacifiquement, «que par quatre chars».
Arrivé au pouvoir en 1980, le «combattant pour la liberté» Mugabe avait «fini par plonger son pays dans la misère». Le Guardian brosse le portrait de cet «homme aux nombreux visages: marxiste-léniniste idéaliste dans sa jeunesse, prisonnier politique, combattant pour la liberté, figure encensée du nationalisme panafricain et impitoyable dictateur vieillissant aux ambitions réformistes, enraciné dans la corruption et la vulgarité».
Bref, un tyran déchu qui suscite les larmes de joie d’une militante dans une vidéo mise en ligne par BBC Afrique. Mais aussi la méfiance d’un correspondant du Monde (lire en page 9), qui fait remarquer que le président intérimaire, Emmerson Mnangagwa, n’est rien d’autre que l’ex-bras droit de Mugabe, «avec qui il a tout fait ou presque. Le peuple doit profiter de ces moments de bonheur, ça risque de ne pas durer. Mais qui sait? Espérons.»
Alors, que va-t-il se passer? Au Portugal, le quotidien Publico n’est pas très optimiste et parle de «tragicomédie». Il prévient d’emblée: «Aucun changement majeur n’est malheureusement en vue au Zimbabwe: les richesses du pays resteront sous le contrôle de l’élite du pays, qui ne cédera pour rien au monde son pouvoir. […] La démocratie n’est pas près d’arriver à Harare.»
Avec, en plus, ce problème lancinant: «Le Zimbabwe diamantaire et agricole autrefois prospère du temps des Blancs est devenu le plus pauvre de l’Afrique grâce à Mugabe», ironise sur Twitter @jipetutu.
Une fierté citoyenne
Opinion circonspecte aux PaysBas aussi, dans le NRC Handelsblad, pour lequel «les putschistes sont plus ou moins les mêmes militaires communistes, partisans de la ligne dure, responsables depuis 1980 des violations des droits de l’homme et d’une corruption sans limites. […] Pour l’opposition, cette prise de pouvoir ne constitue pas une amélioration. Elle est par ailleurs affaiblie par des problèmes internes. Sur le long terme, le seul espoir des citoyens du Zimbabwe, c’est de voir la pression internationale s’accroître sur Harare.»
L’armée ne peut rester au pouvoir: «Le Zimbabwe a besoin d’élections et ce, le plus rapidement possible», espère la Frankfurter Rundschau. Cependant, @micheldjombo se méfie: «Toute alternance en soi est un bien, mais espérons que Mnangagwa saura entrer dans l’histoire en organisant des élections libres. Je n’y crois pas trop, mais bon.»
En attendant, ce qui frappe sur les réseaux, c’est la fierté citoyenne des Zimbabwéens, et l’exemple qu’ils donnent à d’autres régimes d’Afrique noire, comme celui de la RDC, dont Joseph Kabila squatte la présidence depuis bientôt dix-sept ans. Un entrepreneur de ce pays, @Eric-
Keke, tire cette «leçon du #Zimbabwe»: «Mugabe est parti sans pression étrangère, l’initiative est venue de l’intérieur. Personne (pouvoir & opposition) n’a dépensé un dollar chez les lobbies. Et au finish, tout le monde soutient… Zéro mort, zéro blessé, zéro dégât. Que cela serve d’exemple à d’autres. #RDC.» Avec les hashtags #Mugabe et
#Zimbabwe, des milliers de tweets ont été émis depuis mardi soir. Célébrant la victoire du peuple, mais parfaitement conscients aussi des incertitudes présentes au portillon d’une démocratie à restaurer. @FirminYangambi, par exemple, juge que «ni le peuple ni l’opposition n’ont dégagé Mugabe. Et il ne s’agit pas encore de changement de régime. Ce n’est donc pas un coup d’Etat.»
Hyperinflation en vue
Un autre enjeu majeur, c’est l’économie. En Suisse, Finanz und
Wirtschaft prévient que «nombreux sont ceux qui craignent un retour de l’hyperinflation. Après la suppression en 2009 d’une monnaie ayant perdu toute valeur, le dollar américain avait été introduit. […] Les prix ont fortement augmenté. En octobre, lors de la rencontre annuelle de la Banque mondiale et du FMI, le gouvernement avait sollicité une énième remise de dette et l’octroi de nouveaux crédits à une économie ruinée – sans toutefois obtenir gain de cause.» Mais maintenant, «les choses pourraient changer», commente un twitto.
Les putschistes sont aussi les responsables des violations des droits de l’homme et d’une corruption sans limites