Le Théâtre du Loup ressuscite les soeurs Cha Cha, danseuses joyeuses et insolentes
Avec «My Cha Cha garden», Rossella Riccaboni revient sur ses débuts de danseuse et en profite pour questionner trois générations de comédiennes sur l’art et le corps. A découvrir au Théâtre du Loup, à Genève, dès ce vendredi
La danse comme le théâtre sont des arts éphémères. Qui laissent peu de traces, mais nourrissent l’imaginaire. On s’en souvient, pour les avoir applaudies à Genève: dans les années quatre-vingts, les soeurs Cha Cha faisaient souffler un vent joyeux et insolent sur la danse contemporaine qui naissait alors.
Que reste-t-il, trente ans après, de cette compagnie turbulente? Des questions sur le temps qui passe, l’évolution artistique et la reconnaissance. Elles seront posées de manière malicieuse et remuante dans My Cha Cha garden, une création-mosaïque signée Rossella Riccaboni, à découvrir au Théâtre du Loup, dès ce vendredi.
Sept femmes formidables
Une vaste cour ou un grand jardin, avec des bâches, une vieille voiture et une palissade. On appelle Rossella Riccaboni, ce lundi, et c’est ainsi qu’elle parle de la scénographie. «On a de la chance, car Eric Jeanmonod a été le décorateur des soeurs Cha Cha. Derrière cet espace, il propose des pièces qui évoquent quelques-unes de nos six créations.»
La pièce méditerranéenne, par exemple, «celle qui cite E pericoloso sporgersi, spectacle solaire proche de mes racines italiennes». La pièce des catastrophes, aussi, «celle qui revient sur Nube, spectacle de 1987 en lien avec le déluge. On évoluait pendant quarante minutes sous la pluie». Et encore la pièce des songes, «celle qui restitue J’attends la nuit, une création qui parlait de femmes dans l’attente amoureuse».
Le questionnement passera par le verbe, la musique et la danse, simulant la répétition d’une création
Plébiscitées par le public, les soeurs Cha Cha proposaient de la danse-théâtre. C’est-à-dire des chorégraphies avec des situations identifiables, mais sans parole. Trente après, My Cha Cha garden sera plutôt du théâtre dansé. Car, depuis, Rossella Riccaboni est devenue coresponsable du Théâtre du Loup et réserve une place de choix aux mots. «Le texte a été écrit par Juliette Riccaboni, ma fille, sur la base d’improvisations de toute l’équipe.» Toute l’équipe? «Sept femmes formidables, trois générations mélangées, pour parler du corps et de l’art, hier et aujourd’hui.»
Les soeurs Cha Cha figurent-elles dans la distribution? «Oui, pour Anne Rosset, qui est toujours performer. Non pour Elisabeth Gilles et Isabelle Anex, traductrice et peintre, qui ne se voyaient pas remonter sur scène. En revanche, elles ont, comme Anne et moi, nourri la réflexion en écrivant régulièrement des mails depuis 2012.»
Fin de l’insouciance
C’est que l’idée de ce spectacle est née il y a cinq ans, lors d’un bal de la Fanfare du Loup. La danse, évidemment. «Aux platines, il y avait Bernard Trontin que l’on retrouve dans le spectacle. On était là, les soeurs Cha Cha, avec un plaisir fou de se revoir, et j’ai eu alors l’envie d’interroger ce passé commun, cette étincelle de création.»
Autour du duo d’origine, figurent des comédiennes de tout âge, des plus mûres aux plus jeunes (Brigitte Raul, Marie Probst, Judith Goudal, Maude Lançon, Juliette Riccaboni) et un comédien, Adrien Barazzone, metteur en scène associé. «L’idée, poursuit la leader du projet, était de confronter nos expériences sur trois thématiques: le travail, le corps et le besoin de reconnaissance.» Au Loup, le questionnement passera par le verbe, la musique et la danse, simulant la répétition d’une création. Avec, en contrepoints, des extraits filmés des spectacles des soeurs Cha Cha.
A propos, Rossella Riccaboni, qu’est-ce qui a changé pour un artiste romand en trente ans? «Concernant le travail, il y a moins d’insouciance et moins de temps pour imaginer un spectacle. Les modes de production sont plus contraignants. Au sujet du corps, je suis effarée de voir qu’une jeune femme de 30 ans peut déjà se sentir vieille. C’est le reflet évident du diktat de la jeunesse. Enfin, sur la reconnaissance, c’est clair que la profusion de compagnies et d’artistes a rendu la visibilité plus ardue, donc la compétitivité plus grande…»
On sent une pointe de nostalgie. Un spectacle triste, alors, My Cha Cha garden? Elle rit: «Non, bien sûr que non. Il y aura des pépites de mélancolie, mais l’essentiel sera drôle et foisonnant.» Un cha cha cha entre les élans d’antan et les frissons du présent.
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du 24 novembre au 9 décembre, Théâtre du Loup, Genève. www.theatreduloup.ch