Souffle printanier sur la relation Suisse-Europe
Jean-Claude Juncker et Doris Leuthard évoquent la conclusion d’un accord institutionnel, rebaptisé «accord d’amitié», d’ici au printemps 2018. De nouvelles idées doivent être testées pour régler les derniers différends
La venue de Jean-Claude Juncker débloque la relation bilatérale entre Berne et Bruxelles. Un «accord d’amitié» est attendu, peut-être début 2018 déjà
On n’y croyait plus. Depuis bientôt quatre ans, les relations entre la Suisse et l’Union européenne progressaient de façon millimétrique, suspendues à d’interminables négociations sur un lointain accord-cadre institutionnel. Voici ce dernier rebaptisé «accord d’amitié», et ce texte fondamental pourrait être conclu «au début de l’an prochain», a annoncé jeudi à Berne le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Une percée surprise que la présidente de la Confédération, Doris Leuthard, a confirmée en ces termes: «Nous avons trouvé de la flexibilité dans les discussions.» Un vent d’«air frais» entre les deux parties permet de tester de «nouvelles idées» et d’espérer un accord prochain. Des chemins de fer aux assurances en passant par les marchés financiers, des rapprochements concrets se dessinent.
C’est en routinier rusé de la politique que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, s’est présenté jeudi à Berne à l’occasion d’une visite officielle très attendue en Suisse. Le Luxembourgeois et la présidente de la Confédération, Doris Leuthard, ont pu constater que toute une série de dossiers ont été débloqués depuis leur dernière rencontre, en avril dernier à Bruxelles. «Nous avons surmonté les difficultés du passé», a résumé Doris Leuthard. En somme, la Suisse et l’Union européenne referment le chapitre des difficultés politiques engendrées par le vote du 9 février 2014 sur l’initiative «Contre l’immigration de masse». Pour Jean-Claude Juncker, l’heure est aux caresses. «La Suisse mérite le respect de l’Union européenne, parfois plus qu’elle n’en a reçu.»
Un milliard de cohésion «volontaire»
Doris Leuthard et Jean-Claude Juncker ont veillé à ne pas se retrouver les mains vides face à la presse. Un accord qui permet à la Suisse d’accéder à la bourse européenne d’échange de quotas d’émissions de CO2 a été formellement signé jeudi à Berne. Et puis le Conseil fédéral a confirmé ce qu’il refusait de dévoiler depuis une semaine: il est prêt à engager une nouvelle enveloppe de 1,3 milliard de francs à titre d’aide à la cohésion du continent européen. «Il est dans l’intérêt de la Suisse d’avoir accès au marché européen et de réduire les disparités sociales. Le Conseil fédéral le fait sans pression, c’est un geste de bonne volonté», a affirmé Doris Leuthard.
Deux crédits-cadres seront soumis au parlement l’an prochain: 200 millions de francs dans le domaine de la migration et 1,1 milliard pour des projets concrets menés par la Suisse dans les 13 pays européens qui ont adhéré à l’UE depuis 2004, portant avant tout sur la formation professionnelle et l’emploi des jeunes. L’enveloppe, de nature financière, ne sera pas soumise au référendum.
Jean-Claude Juncker se dit satisfait du «résultat». Il dément toute pression de l’Union européenne sur la Suisse: «Je ne suis pas venu à Berne pour recevoir un cadeau. Les décisions du Conseil fédéral sont unilatérales et souveraines […]. L’aide à la cohésion n’est un cadeau ni empoisonné ni trop généreux.»
L’«accord d’amitié» au printemps
La nouvelle «dynamique positive» dans les relations bilatérales s’applique aussi à l’accord institutionnel, affirment Doris Leuthard et JeanClaude Juncker. Ce traité en cours de négociation depuis quatre ans doit devenir la clé de voûte de la relation entre la Suisse et l’UE en chapeautant l’ensemble des accords bilatéraux.
Il ne sera pas possible de conclure les négociations d’ici à la fin de l’année, reconnaissent les deux démocrates-chrétiens. Mais Jean-Claude Juncker a surpris en parlant d’un aboutissement «au début de l’an prochain». Un calendrier que Doris Leuthard n’a pas confirmé dans les mêmes termes. Le communiqué officiel de la Confédération parle d’un objectif «pour l’année en cours et pour l’année prochaine».
Si le calendrier du président de la Commission européenne doit contrarier les plans du nouveau chef du DFAE, Ignazio Cassis, qui plaide pour un «reset» dans le dossier européen, le Luxembourgeois a tout de même fait une fleur au Tessinois. Ce dernier veut un nouveau vocabulaire, JeanClaude Juncker lui fait une suggestion tout en malice. Jugeant le terme d’accord-cadre «horrible», il lui a préféré celui d’«accord d’amitié».
Deux ou trois points de divergence
Que reste-t-il à régler dans les négociations institutionnelles? Ni Doris Leuthard, ni son hôte n’ont voulu entrer dans les détails. La présidente de la Confédération a évoqué deux ou trois domaines dans lesquels des différends subsistent, notamment «les aides d’Etat et la surveillance». Tout en ajoutant que «nous avons trouvé de la flexibilité dans les discussions», parlant même d’«air frais», qui permet de tester de «nouvelles idées».
Le premier domaine fait référence à la volonté de l’Union européenne de soumettre aux mêmes règles et à la même discipline tous les acteurs économiques qui ont accès au marché européen, en proscrivant au maximum les subventions publiques, les aides d’Etat. Un point qui pose problème à la Suisse, notamment à la lumière de la situation difficile du secteur hydroélectrique. Les négociateurs helvétiques souhaiteraient régler cette question séparément dans chaque accord sectoriel. Bruxelles n’entre visiblement pas en matière.
Le deuxième différend concentre les crispations côté suisse. Il concerne le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), censée interpréter le droit que la Suisse reprendrait de manière dynamique. Doris Leuthard a confirmé que la nouvelle «flexibilité» dans les négociations concerne notamment ce point-là. Peut-on envisager un scénario dans lequel la CJUE, dépeinte par l’UDC sous le slogan des «juges étrangers», ne tiendrait plus le premier rôle? «Nous nous trouvons dans une discussion cordiale qui va, du point de vue de la Suisse, dans une bonne direction», a répondu laconiquement Jean-Claude Juncker. ■