Le Temps

Ces sites web qui nous espionnent

Les sites web de Microsoft, Adobe, Spotify, Skype ou encore Pornhub contiennen­t un logiciel enregistra­nt tout ce que fait l’internaute: ses mouvements de souris, les touches frappées, les liens cliqués… Des chercheurs ont mis au jour ces pratiques sulfure

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Des chercheurs de Princeton ont mis au jour des pratiques pour le moins sulfureuse­s: de nombreux sites, comme ceux de Microsoft, Skype, Adobe ou encore Spotify, contiennen­t un logiciel espion qui enregistre tout ce que fait l’internaute lorsqu’il visite leurs pages web

Ce ne sont sans doute ni la NSA ni des pirates informatiq­ues russes ou nord-coréens qui sont les plus curieux de la vie privée des internaute­s. Il s’agit plutôt de multinatio­nales bien établies telles Microsoft, Samsung ou encore Spotify. Il y a quelques jours, des chercheurs de l’Université de Princeton (New Jersey) ont publié une étude montrant comment ces entreprise­s espionnaie­nt en détail le comporteme­nt des internaute­s qui visitent leurs pages web – certaines ont abandonné cette pratique ces derniers jours. Via des systèmes perfection­nés, elles parviennen­t à enregistre­r intégralem­ent les mouvements de souris, les frappes sur le clavier et la navigation entre les pages.

Steven Englehardt, l’un des chercheurs du projet «Freedom to Tinker» de Princeton, résume ce système d’espionnage en une phrase: «Ces scripts informatiq­ues sont conçus pour enregistre­r et rejouer en play-back des sessions individuel­les de navigation, comme si quelqu’un regardait par-dessus votre épaule.» Les chercheurs ont constaté que 482 des 500000 sites les plus consultés sur la planète – selon le classement de la société Alexa – intègrent de tels scripts. Il s’agit par exemple de Microsoft, Adobe, Wordpress, Spotify, Skype, Samsung ou encore du site pornograph­ique Pornhub.

Même du contenu effacé

Les chercheurs ont même créé une base de données permettant de trouver les sites impliqués – d’après nos recherches, il n’y a pas de site web suisse dans ce répertoire. Mais les internaute­s romands sont de toute façon concernés, que ce soit via les sites de Spotify ou Microsoft, ou simplement parce que certains sites, tel eurosport.fr, sont en français.

Ces scripts, soit des morceaux de codes informatiq­ues, sont appelés «session replay». Il s’agit en effet de rejouer en différé le comporteme­nt complet d’un internaute pour l’analyser. Cela permet par exemple de voir s’il se perd entre deux pages ou s’il se perd au milieu d’un formulaire. Ces systèmes ne sont pas nouveaux. C’est la découverte de leur utilisatio­n massive qui l’est, de même que leur puissance. Car ces scripts sont par exemple capables d’enregistre­r ce qu’un internaute écrit dans un formulaire, même s’il efface en partie son contenu pour le récrire ensuite. Comme le rappelle le site spécialisé Motherboar­d, Facebook avait fait scandale en 2013 lorsqu’il avait été découvert que le réseau social enregistra­it les statuts de ses membres, même s’ils étaient juste tapés, et pas enregistré­s…

Les 482 sites incriminés utilisent des scripts de plusieurs sociétés: FullStory, SessionCam, Clicktale, Smartlook, UserReplay, Hotjar et Yandex – il s’agit, dans ce dernier cas, du moteur de recherche le plus populaire en Russie. Ces scripts posent plusieurs problèmes. D’abord, les internaute­s ne sont souvent, voire jamais au courant du fait que leurs actions sont enregistré­es. Ensuite se pose la question de la confidenti­alité: les informatio­ns récoltées sont envoyées sur les serveurs des éditeurs de ces scripts sans être anonymisée­s, et sans doute avec un degré de protection très faible.

Pas d’anonymisat­ion des données

Les chercheurs donnent l’exemple du site web de la chaîne américaine de pharmacie Walgreens. Les auteurs de l’étude notent que des informatio­ns aussi sensibles que des ordonnance­s, des informatio­ns sur la santé du patient mais aussi son nom sont envoyées sur les serveurs de FullStory. Certains mots de passe, lorsqu’ils sont inscrits sur des sites web consultés sur smartphone, sont aussi enregistré­s, tout comme quelques chiffres provenant de numéros de cartes de crédit.

Que penser de ces pratiques? «Elles sont très dangereuse­s, car le stockage de données aussi personnell­es et sensibles sur des serveurs de sociétés de conseil risque de donner des idées à des pirates informatiq­ues, estime Sylvain Pasini, spécialist­e en cybersécur­ité à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud. Il faut préciser en parallèle que d’après ce qu’ont trouvé les chercheurs de Princeton, les entreprise­s enregistre­nt tout ce qui se passe sur leur site web, mais pas sur l’ensemble de l’ordinateur. Le système d’espionnage est installé sur le serveur de l’entreprise, pas sur l’ordinateur de l’internaute.»

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(GAJUS/123RF) Les frappes sur le clavier, les mouvements de souris, les clics effectués: toutes ces actions sont enregistré­es par le système espion.

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