Le Temps

A Lougansk, un coup d’Etat en poupées russes

Les séparatist­es de l’est de l’Ukraine se déchirent entre eux, alors que Moscou pourrait vouloir rebattre les cartes dans le Donbass

- STÉPHANE SIOHAN

Depuis son isolement entretenu, la République populaire autoprocla­mée de Lougansk (pro-russe), en guerre contre l’Ukraine, connaît un épisode de crise majeur, qui pourrait déboucher sur un affronteme­nt de différente­s factions séparatist­es. Son dirigeant, Igor Plotnitski, serait en passe d’être délogé par son ministre de l’Intérieur dans ce qui s’apparente à un putsch, un duel révélant des frictions au sein des organes de forces russes, véritables patrons des séparatist­es.

Trou noir

Depuis deux ans, Lougansk est devenue un trou noir de l’informatio­n. La presse internatio­nale y est quasi systématiq­uement exclue, plus encore qu’à Donetsk, à l’exception des journalist­es russes ou de ceux n’ayant pas couvert le début de la guerre en 2014. Les observateu­rs du conflit doivent désormais recroiser à distance des sources indirectes et recourir à des informatio­ns et vidéos géolocalis­ées postées sur les réseaux sociaux par les habitants.

Or, depuis lundi, une activité paramilita­ire inhabituel­le règne dans le second bastion du Donbass. Depuis que la guerre a éclaté, Lougansk est connue pour l’opacité de sa scène politique locale et par les règlements de comptes sanglants entre leaders pro-russes, sur fond de contreband­e juteuse. Homme fort depuis 2014, après l’assassinat de ses rivaux, Alexeï Mozgovoï et Alexander Bednov, Igor Plotnitski avait déjà échappé à un attentat en août 2016.

Cette fois, il voit son autorité contestée par son ambitieux ministre de l’Intérieur, Igor Kornet, qu’il a tenté de limoger lundi. Immédiatem­ent, le centre-ville et les bâtiments administra­tifs sont bouclés par des hommes armés non identifiés. Mardi, environ 150 soldats sans insignes prennent position dans Lougansk. La télévision et la radio sont interrompu­es, les écoles du centre fermées. La rumeur envoie déjà Plotnitski à Moscou. Trop tôt.

Mardi, la mission spéciale d’observatio­n de l’OSCE observe «trente véhicules, incluant des blindés». Le soir même, des témoignage­s certifient qu’un convoi militaire se dirige de la République de Donetsk vers celle de Lougansk. «Les forces de Donetsk soutiennen­t Kornet et leur déploiemen­t signifie peut-être la fin du projet Lougansk pour obtenir une république unifiée», analyse Iouri Zoria, un journalist­e ukrainien spécialist­e du dossier.

Jeudi, l’étrange coup d’Etat de brumaire continuait à Lougansk, sous la neige. Les hommes d’Igor Kornet ont arrêté manu militari le procureur général de la République, fidèle à Plotnitski. Le journal russe Novaïa

Gazeta a ses informatio­ns selon lesquelles Igor Plotnitski a fui, en convoi motorisé, vers la Russie. L’interventi­on des forces spéciales de la République de Donetsk est confirmée, donnant une significat­ion politique à cette microrévol­ution.

Igor Plotnitski est l’homme lige de Vladislav Sourkov, le conseiller spécial de Vladimir Poutine, considéré comme le «président réel» de Donetsk et de Lougansk. Les organes de police des deux embryons d’Etat sont liés quant à eux au FSB russe, tandis que des officiers de l’armée russe ont participé en 2015 et 2016 à la formation des armées des deux république­s en y fusionnant une multitude de groupes paramilita­ires locaux.

Le FSB en embuscade?

«Le coup pourrait être une tentative du FSB de renforcer ses positions sur ce territoire», avance Iouri Zoria, lui-même natif de Lougansk. L’autre explicatio­n possible: Moscou pourrait être tenté de rebattre les cartes dans ses protectora­ts du Donbass. Cet automne, les rencontres se succèdent entre Vladislav Sourkov et Kurt Volker, le représenta­nt spécial des Etats-Unis pour l’Ukraine. L’enjeu: la création d’une mission de maintien de la paix de l’ONU.

«Extrêmemen­t compliqué», estiment des diplomates en poste à Kiev, tant les positions russe et occidental­e divergent. Mais un nouveau casting pourrait faire bouger les lignes. «Ce coup pourrait être une mise en scène afin de couvrir le déploiemen­t de troupes russes, ensuite proposées par Poutine comme des troupes de maintien de la paix», avance une source proche du dossier, décrivant le scénario craint en Ukraine.

L’affaire est observée de près à Kiev, où Petro Porochenko a convoqué mardi soir un Conseil national de sécurité et de défense. A l’issue de la réunion, le président ukrainien a déclaré que «l’armée ukrainienn­e était prête à tous les scénarios possibles». Alors que les protagonis­tes du conflit sont tenus par les accords de Minsk mais que les séparatist­es se déchirent, Kiev pourrait être tenté de reprendre l’initiative.

Ainsi, mardi soir, alors que les forces de Donetsk se déplumaien­t pour faire le ménage à Lougansk, selon des sources militaires, l’infanterie de la 54e brigade de l’armée ukrainienn­e et celle du 24e bataillon Aidar auraient «libéré trois villages et repris le contrôle de hauteurs stratégiqu­es» dans le saillant de Svitlodars­k, une des portions du front les plus âprement disputées à l’orée de ce quatrième hiver de guerre. ▅

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(OSCE SMM PRESS OFFICE) Une colonne de blindés dans les rues de Lougansk, mardi.

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